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condition de sa grandeur, si ce n’est de sa sécurité. Fière de sa propre unité, elle s’était laissé persuader que c’était un privilège de son sol ou de son génie. Avec un funeste aveuglement, ses politiques les plus populaires appelaient la géographie, la linguistique, l’ethnologie, l’histoire, la religion, à démontrer que la nature même défendait à l’Allemagne ou à l’Italie de ne former qu’un seul état, que, si l’on y rêvait au-delà des Alpes et du Rhin, ce n’était qu’une vaine chimère, et qu’alors même, qu’elle se ferait un moment, une telle unité ne saurait durer. Longtemps la France crut à ces sophismes, elle se répétait qu’il, avait fallu mille ans pour achever l’unité française, elle fermait les yeux sur la naissance et les progrès des tendances unitaires à l’étranger. Le grand mouvement de 1848, où l’unité de l’Allemagne fut proclamée à Francfort et la couronne impériale offerte au roi de Prusse par le peuple allemand, ne parut à la France qu’un accident sans racines et sans suites.

Dix ou douze ans plus tard, elle se montra naïvement surprise de la facilité d’une révolution dont elle n’avait pas voulu prendre au sérieux la lente élaboration. En face de cette unité des peuples limitrophes qui la prit à l’improviste, elle demeura à demi incrédule, à demi effrayée, mécontente de son gouvernement, auquel elle l’imputait, comptant sur lui pour en empêcher l’achèvement ou se le faire payer. Sans la croire encore définitive, la France voyait de mauvais œil cette révolution unitaire qui la serrait entre deux peuples compactes. Dans son embarras pour réconcilier ses appréhensions avec son noble enthousiasme d’autrefois, elle cherchait à distinguer, indépendance de ses voisins de leur unité, les encourageant à l’une et réprouvant l’autre, comme si l’union politique n’était pas le terme naturel du développement national des peuples et le premier droit en même temps que la meilleure garantie de leur indépendance. Par cette contradiction, la France irritait l’amour-propre de ses voisins ; elle blessait journellement par sa presse et sa tribune leur patriotisme en fermentation. Peu au fait de l’esprit de l’étranger, elle s’exagérait la résistance des autonomies locales au-delà des Alpes et du Rhin. Choquée des procédés à la fois trop habiles et violens avec lesquels le Piémont et surtout la Prusse hâtaient l’unification de l’Allemagne et de l’Italie, elle reportait sur les Napolitains, les Siciliens, sur les Hanovriens et les Saxons ses vieilles sympathies pour les opprimés. Elle les eût volontiers couverts de sa protection, et, en cas de lutte, elle se fût attendue à être accueillie en libératrice plutôt qu’en ennemie par les populations annexées. Elle ne sentait point que, pour les intéressés, c’étaient là des querelles de ménage où il est dangereux pour l’étranger d’intervenir, où le parti qu’il prétend secourir lui en veut presque autant d’un appui qui le compromet que la