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faction contraire d’une opposition qui entrave son triomphe. En vain quelques esprits courageux, mieux instruits des choses du dehors, essayaient de montrer à la France que cette unité tant contestée de l’Italie et de l’Allemagne était la conséquence logique de toute leur histoire ; en vain lui représentaient-ils qu’il était trop tard pour l’arrêter, et que, ne pouvant être évitée, il valait mieux qu’elle se fît d’accord avec la France que malgré elle et contre elle[1]. Si elle ne voulait point la guerre, la France gardait, vis-à-vis de ses voisins agrandis une attitude de dépit et de défiance d’où la guerre devait fatalement sortir par leur fait, si ce n’était par le sien. En opposant à l’unitarisme allemand et italien une sorte de veto inflexible, la France oubliait trop qu’au point où elle les avait laissés arriver il était impossible à ces peuples de ne point aller jusqu’au bout. Une telle attitude plus longtemps gardée eût fini par amener, au moment peut-être où nous nous y serions le moins attendus, une alliance effective des deux puissances que nous seuls arrêtions sur le Mein et sur le Tibre, et ainsi à la longue cette paix trompeuse eût pu devenir plus fatale encore à notre grandeur que la folle campagne de 1870, et avec l’Alsace-Lorraine nous coûter la Corse, Nice et la Savoie.

Devant cette attitude de l’opinion, que faisait le gouvernement impérial ? N’osant combattre des susceptibilités d’accord avec ses secrètes rancunes, n’osant les approuver ouvertement de peur de se condamner lui-même, il cherchait à leur donner le change sur la déception de ses calculs. Au lieu de confesser que l’unité était faite en Allemagne comme en Italie, et que l’achèvement n’en était plus qu’une affaire de temps et pour ainsi dire d’heures, il imaginait la théorie des trois tronçons, il faisait faire des cartes où le sud de l’Allemagne était représenté comme entièrement isolé du nord. Sans vouloir s’avouer toute la portée de ses méprises, il disait adieu à tous ces plans de reconstruction européenne, de désarmement, de paix perpétuelle, à tous ces rêves de jeunesse si cruellement déçus. L’Utopie humanitaire cédait la place aux instincts du césarisme, aux jalousies nationales. Contraint par l’opinion et les nécessités de son régime de renoncer à sa première politique, l’empire n’en avait point d’autre à mettre à la place. Il ne lui restait que des expédiens. A vrai dire, pendant les dernières années, le gouvernement impérial n’eut plus de politique. Il demeurait en suspens entre les trois partis qui s’offraient à lui et dont chacun à la cour et dans le

  1. Voyez dans la Revue les travaux de M. de. Laveleye sur l’Allemagne depuis la guerre de 1866, livraison du 15 février 1867 et suivantes ; — les Droits et les Devoirs de la Prusse, par M. Saint-René Taillandier, 15 octobre 1866 ; — la Guerre entre l’Allemagne et la France, par M. E. Renan, 15 septembre 1870, — et la lettre de M. de Sybel, 15 septembre 1866.