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princes ne mettent pas ordre à la réformation, chacun a le droit d’y pourvoir. Le roi de France a été prié d’y mettre la main ; lui, Nogaret (en son ambassade de 1300), a dû avenir Boniface caritative et canonice, d’abord en secret, puis devant témoins idoines. Boniface a tout méprisé. Dès lors, Nogaret aurait pu révéler ce qu’il savait à l’église universelle ; mais Boniface rendait la discipline impossible par son pouvoir tyrannique. Nogaret a exposé les crimes de Boniface au roi (parlement du 12 mars 1303), et lui a demandé qu’il promût un concile général, à quoi le roi et tout le parlement ont consenti. Comme dernière tentative de conciliation, le roi a envoyé en Italie Nogaret avec le titre de nuntius, mais sans succès. En plein parlement (13 juin), Boniface a été accusé, cité ; la France entière a consenti à la citation. Nogaret reçut ordre du roi de publier ce qui avait été arrêté et de presser le concile. Boniface se mit à la traverse, ne pensa pas à se justifier, et dut par conséquent être tenu pour convaincu. Nogaret cependant différa d’user de la force, jusqu’à ce qu’il eût vu le dessein où était l’antipape de publier ses anathèmes contre la France. Alors Nogaret avec peu de troupes, mais assuré de la justice de son entreprise, est entré dans Anagni. Les parens de Boniface firent de la résistance ; Nogaret, « ne pouvant accomplir autrement l’affaire du Christ, » fut obligé de les attaquer, avec l’assistance de ceux d’Anagni. Pierre Gaetani et ses enfans ayant été pris, Nogaret empêcha autant qu’il put la violence ; l’opiniâtreté de Boniface fut la cause de tout le mal. Nogaret voulait empêcher le pillage du palais et du trésor ; la furie du soldat fut plus forte ; on sauva du moins la vie de Boniface et de ses parens. Nogaret, parlant à Boniface, lui représenta comme quoi il était tenu pour condamné à cause de ses hérésies, mais qu’il fallait un jugement de l’église avant de le faire mourir, qu’à cet effet il lui donnait une garde. Ceux d’Anagni, voyant cette garde faible, la chassèrent du palais ainsi que de la ville, après en avoir tué une partie, et de la sorte Boniface fut délivré. Alors, en pleine liberté, sans nulle garde autour de lui, il feignit de se repentir, accorda un plein pardon à ceux qui l’avaient forcé, même à Nogaret, et leur donna l’absolution, quoiqu’ils n’en eussent pas besoin, et qu’ils fussent au contraire dignes de récompense[1]. Nogaret continua jusqu’à la mort du faux pape son « œuvre vertueuse, » et il est prêt à la soutenir contre la mémoire dudit pape, sans rémission. Boniface, revenu à Rome, y vécut plusieurs jours, durant lesquels il aurait pu se reconnaître et se corriger ; mais, fermant les oreilles à la manière de l’aspic, obstiné dans ses crimes et son iniquité, il mourut fou et

  1. Imo potius præmium eis pro Christi negotio quod gesserant, non pœna deberetur.