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étaient nos découvertes de nids d’oiseaux. Nous comptions les œufs ronds, luisans et tachetés, plus délicats que tous les bijoux polis par l’art humain ; nous rassurions les oiseaux. — Chers petits, ne craignez pas, personne ne le saura. — Un sentiment profond de responsabilité nous gonflait le cœur. Nous informions les enfans de l’école que nous savions quelque chose qu’ils ignoraient, dont nous ne parlerions jamais, quelque chose de merveilleux qu’il serait méchant de dire ! . Nos mères cependant étaient dans la confidence, et nous encourageaient à garder le secret des oiseaux.

Cette innocente idylle passe comme les violettes et les fraises où butinent leurs petites mains ; une maladie épidémique vient fondre sur les villages de la montagne, et l’une de ses victimes est la gentille Susie. Il s’en faut de peu que son dernier baiser, au plus fort de la fièvre, ne soit mortel pour Harry. — J’ai le vague et brûlant souvenir d’une série de jours de soif et de mal de tête, durant lesquels je demandais une goutte d’eau froide qui m’était refusée. Je voyais comme à travers un brouillard les gens qui me veillaient et me faisaient prendre des drogues, contre lesquelles je n’avais plus la force de me révolter. Ces journées-là se traînaient lentement ; j’observais oisif les jeux de la lumière et le frémissement des feuilles sur le mur blanc en face de moi. Un matin, tandis que je gisais ainsi, la cloche du village tinta lugubrement six coups ; les longs et solennels intervalles étaient remplis par une sourde vibration : c’était le nombre des années de ma Susie sur la terre, et l’annonce qu’elle était partie pour le pays où le temps n’est plus mesuré par jours et par nuits, car il n’y a plus de nuit…

J’entendis longtemps après mes sœurs discuter entre elles l’effet que m’avait causé cette mort. — Les enfans sont comme les animaux, ils oublient ceux qu’ils ne voient plus, disait l’une d’elles. — Mais je n’oubliais point ! Quand je pensais à ma petite amie, j’étais comme étouffé par un flot amer d’angoisse.

La pitié céleste envoie au pauvre enfant un rêve qui le console en lui donnant le vif sentiment de la présence continuelle de Susie invisible à ses côtés. Il va la chercher aux lieux qu’ils avaient l’habitude de parcourir ensemble, et dans les occupations auxquelles naguère ils se livraient tous deux. Elle lui parlé, elle le conseille, elle l’inspire plus tard. Sa mère avait raison quand elle disait : — Qui sait ? cette mort peut être pour lui un appel d’en haut. — Rien de grand ni de beau ne nous est donné sans les douleurs de l’enfantement. Du souvenir de Susie jaillit une source d’inspirations tendres et profondes, qui se répandent en poésie écrite avant même que Harry sache former les lettres ; il copie les caractères imprimés, et achète en secret (car il mourrait plutôt que d’avouer ce qu’il veut faire) du papier et de la chandelle : c’est son