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actionnaires, ne ressort-il pas avec évidence la preuve que la liberté du commerce et de l’industrie est impuissante à refréner tous les abus ? Jugera-t-on que les conclusions qu’en tirent MM. Adams sont trop sombres ? « Tout commentaire, disent-ils, affaiblirait la valeur de ce récit, qui porte avec lui son propre enseignement. Les faits qui viennent d’être racontés révèlent à l’observateur la corruption de notre édifice social. Aucune partie de notre organisation n’a paru saine lorsqu’elle a été mise à l’épreuve. La Bourse est un enfer. Les bureaux de nos grandes compagnies sont des antres secrets où les administrateurs complotent la ruine de leurs mandataires ; la loi est une machine de guerre au service des méchans ; l’esprit de parti se dissimule sous l’hermine du juge ; le palais législatif est une halle où l’on vend des lois à l’enchère, tandis que l’opinion publique est silencieuse ou impuissante. » Les diverses sortes de gouvernemens dont l’histoire fait mention, autocratie, aristocratie, démocratie, s’effacent devant un nouveau système qui est le fruit du XIXe siècle : c’est le gouvernement des associations financières. Ces associations n’ont pas encore dit leur dernier mot, bien que les chemins de fer, qui les ont vues naître et croître, leur aient déjà donné un prodigieux degré de puissance et de vitalité. Au surplus, elles se modifient avec toute la variété des combinaisons politiques, suivant les tendances du moment et les inclinations des individus. Au chemin de fer da New-York-Central, M. Vanderbilt règne en souverain absolu ; il ne partage le pouvoir avec personne. Sur les lignes de la Pensylvanie, le régime devient aristocratique ; un comité d’administrateurs peu nombreux se distribue les attributions et les influences. Dans la compagnie de l’Érié, l’esprit démagogique de New-York triomphe sans contestation. Cette compagnie est l’alliée naturelle, la protectrice et la protégée du Tammany Ring, dont l’influence occulte sur les affaires municipales de New-York se révélait récemment par un prodigieux gaspillage de la fortune publique. Mais ces vastes entreprises, quel que soit leur régime intérieur, ont un caractère commun : elles n’ont point d’âme ni d’entrailles, elles ne sentent point, elles recherchent en toutes choses leur intérêt, sans se laisser embarrasser par les préoccupations de justice et d’équité.

Il est facile de comprendre ce que doit craindre une nation chez laquelle les compagnies de chemins de fer, qu’aucun frein n’arrête, ont su garnir les assemblées législatives, les tribunaux, les administrations, de leurs défenseurs et de leurs créatures. C’est ce qui existe aux États-Unis, et aussi, quoiqu’à un moindre degré, dans la Grande-Bretagne. Les hommes sensés se demandent maintenant quel remède il convient d’apporter à une situation si dangereuse. Le mal vient de ce que l’on a trop compté sur la concurrence et la