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plaçait ? On ne les consultait même pas, on se défiait de leurs conseils, on leur imposait des combinaisons qu’ils pouvaient à peine discuter, si bien que dans une conférence, au moment le plus décisif, le général Chanzy s’écriait : « Puisque ce sont des ordres, il n’y avait qu’à les envoyer par la poste, ce n’était pas la peine de nous réunir. » Ils ne pouvaient rien par eux-mêmes, ils ont fait leur devoir en soldats, ils ont été battus, et aujourd’hui ils se défendent en montrant le coupable.

Le malheur de M. Gambetta a été de se prendre pour ce qu’il n’était pas, de vouloir tout faire, tout diriger, et on voit bien aujourd’hui pourquoi il agissait ainsi : c’est qu’il était entraîné par une passion de parti. Que le bouillant dictateur de Tours et de Bordeaux ait en certains momens animé la défense de son feu patriotique, nous le voulons bien ; mais, on n’en peut plus douter à la lecture des dépêches que M. Jules Favre divulgue dans son livre, ce qui le préoccupait avant tout, c’était l’idée de faire triompher la république. S’il tenait obstinément pour la lutte à outrance, s’il voulait à tout prix poursuivre une victoire qui fuyait sans cesse, c’est qu’il voyait dans cette victoire la garantie de la fondation définitive de la république. S’il ne voulait ni d’un armistice ni des élections, c’est qu’il craignait qu’une trêve ne tournât contre la république. Des élections qui auraient été combinées de façon à être exclusivement républicaines, celles-là il les aurait acceptées, il n’en voulait pas d’autres. Lorsque vers la fin de décembre il pressait M. Jules Favre de sortir de Paris pour aller à la conférence de Londres, où l’on devait s’occuper de la Mer-Noire et de la révision du traité de 1856, quelle était sa pensée ? Il ne s’en cache pas, il le dit nettement. « La première raison, c’est qu’une fois sorti de la capitale, et prêt à vous asseoir au milieu des représentans de l’Europe qui vous attendent, vous les forcerez à reconnaître la république française comme gouvernement de droit… Cette reconnaissance ne vous sera pas refusée ; si elle l’était, vous y trouveriez une occasion nouvelle de glorifier nos principes à la face du monde… » Oui, au moment où le sol français disparaissait sous le flot de l’invasion étrangère, M. Gambetta se faisait l’illusion dangereuse qu’il s’agissait avant tout de proclamer les principes républicains à la face du monde, il avait la terrible naïveté d’écrire à M. Jules Favre qu’il avait entre ses mains les destinées « de la démocratie moderne en Europe, » et c’est pour cela qu’il s’agite, qu’il se démène, qu’il organise des mouvemens stratégiques, qu’il casse des généraux !

En réalité, dans cette série de désastres, il y a sans doute bien des fautes partielles, et il y a aussi deux responsabilités dominantes, qui éclatent dans tous ces livres, dans celui de M. le duc de Gramont comme dans tous les autres. La première, c’est celle de l’empire s’engageant dans une négociation périlleuse sans savoir où il va, se lançant plus aveuglément encore dans une guerre pour laquelle il n’est pas préparé. La seconde responsabilité, qui se dessine avec une sorte de pré-