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disposés à se laisser absorber. Confians, trop confians peut-être dans les traditions de leur histoire, ils eussent attendu l’attaque de pied ferme, en se rappelant les grands jours de leurs luttes acharnées contre Philippe II et contre Louis XIV. En tout cas, même en faisant la part de l’illusion patriotique, ils eussent, par une résistance opiniâtre, fourni à leurs alliés naturels le temps d’intervenir.

C’était donc une situation politique excellente ; les trois seules puissances qu’on aurait pu soupçonner à un titre quelconque se neutralisaient réciproquement, et à l’abri de cette situation, que le règlement définitif des affaires belges avait encore fortifiée, la Hollande travaillait sans crainte à son développement pacifique dans tous les sens, creusait ses canaux, améliorait ses ports, se donnait des chemins de fer, desséchait des lacs tout entiers, remboursait graduellement son énorme dette, émancipait les esclaves dans ses colonies, multipliait chez elle les établissemens d’instruction, se contentait d’un état militaire très modéré, et se trouvait aussi bien protégée par l’équilibre européen contre les tempêtes politiques de l’extérieur que par ses digues gigantesques contre les assauts de la Mer du Nord. Les guerres d’Orient et d’Italie passèrent sans apporter de changement à cette heureuse condition.

La guerre de 1866 ne fut pas aussi innocente au point de vue strictement hollandais. Il est vrai qu’à ce même point de vue la politique prussienne fut alors d’une modération exemplaire. Des ordres sévères enjoignirent de respecter la neutralité du pavillon hollandais sur le Rhin. Le lien qui rattachait une province du royaume, le Limbourg, à l’ancienne confédération, fut dénoué à l’amiable, et Maestricht devint purement hollandaise à la seule condition que ses remparts seraient démolis. Une notion superficielle des choses aurait donc permis de croire que la Hollande avait plus gagné que perdu à la transformation intérieure de l’Allemagne ; mais il y avait déjà des esprits chagrins qui estimaient qu’en politique on est bien fou de prendre des démonstrations amicales pour des garanties permanentes de sécurité. En fait, au lieu de s’adosser à une Allemagne divisée et très mal organisée pour l’offensive, au lieu de confiner à la fois au royaume de Hanovre et à la Prusse, la Hollande était désormais circonscrite sur la plus grande partie de sa frontière continentale par le nouveau royaume de Prusse, agrandi, considérablement fortifié, disposant déjà militairement de toutes les forces de l’Allemagne. Bien que les inquiétudes fussent encore purement théoriques et rarement énoncées, on accueillit avec satisfaction la déclaration bien connue de M. Rouher le jour où, pour apaiser les craintes qui s’étaient manifestées au corps législatif, il proclama la ferme résolution de l’Angleterre et de la France de