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leur pays. Ce qui est certain, c’est que, d’après une idée très répandue en Allemagne, l’entrée de la Hollande dans le nouvel empire serait chose fort désirable, et ne peut manquer d’avoir lieu dans un temps plus ou moins rapproché. Soyons justes cependant, même envers des ennemis qui l’ont été si peu pour nous ; il serait faux de prétendre qu’il y ait en Allemagne un parti-pris de procéder per fas et nefas à cette nouvelle extension de l’empire. Beaucoup d’Allemands protesteraient même très sincèrement contre toute velléité d’incorporation violente, et il n’y a jusqu’à présent dans ces aspirations rien qui ressemble encore à une passion populaire. Les Allemands, qui s’imaginaient que les Alsaciens soupiraient après leur retour dans la patrie allemande, ne savent pas combien les Hollandais tiennent à leur nationalité. Ils partent de l’idée que le peuple hollandais se verrait sans déplaisir incorporé dans le nouvel organisme impérial. D’ailleurs, ajoutent les annexionistes modérés, on ne les forcerait pas à devenir Prussiens, ni même à faire abdication de leur individualité nationale. A la seule condition qu’ils acceptent le régime diplomatique, militaire et commercial de l’empire, ils pourront conserver leur langue, leurs coutumes, leur administration spéciale, et le roi de Hollande pourra marcher de pair avec ceux de Saxe et de Bavière en qualité de vassal de son très gracieux seigneur de Berlin. L’Allemagne ne déclarera donc pas la guerre à la Hollande pour la contraindre à entrer dans l’unité germanique. Certainement les Hollandais finiront par être frappés eux-mêmes des avantages de tout genre qu’ils y trouveront. Seulement, s’il surgissait de nouvelles complications européennes qui fissent une nécessité pour l’empire allemand d’assurer la sécurité de ses frontières en les transférant des plaines sans défense du Hanovre aux dunes de la Mer du Nord, il ne faudrait pas lui en vouloir, s’il hâtait par des mesures militaires indispensables la réalisation d’un état de choses que le temps ne peut manquer d’amener à la longue. — Voilà le résumé ou, pour ainsi dire, la moyenne des nombreuses théories annexionistes que nous avons entendu émettre, et qui, prises chacune à part, représentaient toute la gamme de l’annexion, depuis la conquête immédiate et brutale jusqu’à la réunion volontaire des deux parts.

Qu’il nous soit permis de raconter ici une expérience personnelle. J’eus l’an dernier l’occasion de me trouver en Suisse à la même table avec un Allemand. et un Hollandais, tous deux d’excellente compagnie, et quoique la conversation eût touché des points où ma susceptibilité nationale pouvait aisément se sentir lésée, nous arrivâmes au dessert sans avoir fait de part ni d’autre la moindre brèche aux lois d’une discussion paisible. Notre partner hollandais jugeait le plus souvent les coups, et avec une impartialité qui ne me donnait pas