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qu’elle doit l’être, et qu’il faut qu’elle ait une marine. Pour avoir une marine, il lui faut des côtes, des ports de commerce et de pêche, des marins. C’est pour cela que la Prusse s’est opiniâtrée à garder le Slesvig, et a éludé le traité qui l’obligeait à le rendre au Danemark. Une telle annexion, fût-elle même augmentée de celle du Danemark tout entier, ne nous suffirait pas. Vous découpez sur le territoire allemand une enclave insuffisante pour faire un état sérieux, mais qu’on dirait tracée tout exprès pour nous éloigner de nos meilleures côtes et de nos plus beaux fleuves. L’Allemagne professe pour le Rhin un culte presque superstitieux. N’est-ce pas déjà trop que notre Vater Rhein prenne sa source en Suisse, loin de nos frontières, et comprenez-vous qu’il nous est dur de penser qu’il ne finit pas davantage en terre allemande ? Peut-on prétendre qu’un fleuve est à soi quand on n’en possède pas les embouchures, et pouvons-nous supporter patiemment l’idée que dans certaines éventualités vous pourriez, sur le Rhin, nous barrer le chemin de la mer avec deux ou trois canonnières ?

Vous voyez, continua l’Allemand, que nous ne manquons pas de motifs pour désirer votre réunion à l’empire d’Allemagne. Notez bien que je vous cite seulement les plus élevés dans l’ordre stratégique et politique ; je glisse sur d’autres dont peut-être vous trouveriez l’énoncé peu convenable, tels que les avantages que nous retirerions de vos belles colonies, de vos énormes capitaux, de vos relations commerciales ; mais laissez-moi maintenant vous indiquer quelques raisons parmi toutes celles qui devraient, selon moi, vous pousser dans un sens conforme à nos désirs. J’ai déjà dit que vous étiez nos frères par le sang et la langue. Vous êtes en majorité protestans, nous aussi. Vous ne voyez pas sans inquiétude les deux cinquièmes de votre population aveuglément soumis à un clergé qui reçoit de Rome des mots d’ordre aveuglément acceptés ; c’est la nouvelle Allemagne qui est appelée à écraser définitivement l’ultra-montanisme. Vous serez forcés de subir des charges militaires écrasantes, si vous voulez être en état d’opposer à vos ennemis éventuels une résistance qui vaille son nom ; unis à nous, vous êtes protégés par la première armée du monde. Désormais pour vous plus de soucis, plus de défiances. Vous êtes un peuple éclairé, amateur de science et d’érudition ; que ne vous réunissez-vous à la grande Allemagne ? En moins de rien, vous échangeriez votre langue, qui n’est qu’un patois ignoré du monde entier, contre notre belle langue allemande, et vos savans, vos publicistes, vos professeurs, seraient connus, appréciés, admirés partout. En un mot, plus j’y réfléchis, plus je vois se multiplier les avantages qui résulteraient pour vous d’une réunion à l’Allemagne.

Notre orateur avait prononcé tout d’une haleine ce long