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monologue. On voyait qu’il avait étudié la question, et qu’elle lui tenait au cœur. Le Hollandais l’avait laissé discourir, non sans émotion intérieure. On le voyait pâlir lentement sous les coups de langue de son adversaire, et se contenir avec cette force de volonté dont les hommes du nord ont le secret. Un Français eût bouilli d’impatience, eût éclaté depuis longtemps. Pour lui, il avait tiré un pur havane d’un étui javanais, en avait soigneusement coupé la pointe avec une paire de ciseaux microscopiques, l’avait méthodiquement allumé pendant que l’Allemand se lançait à corps perdu dans les théories annexionistes. J’étais fort curieux d’entendre la réplique. J’avais toujours, ainsi que tant d’autres, considéré l’unification de l’Allemagne comme un danger pour la Hollande ; mais j’avoue que je n’avais pas encore entendu développer avec cette verve et cet accent de conviction les raisons de divers genres qui, du point de vue allemand, menacent son indépendance.

Le Hollandais lâcha une forte bouffée, et, avec le calme le plus parfait, se contenta de répondre : — Tout ce que vous dites, monsieur, est fort possible, mais nous ne voulons pas, — et il répéta, en insistant avec force, — nous ne voulons pas être annexés.

L’Allemand, qui s’attendait à une réfutation en règle, demeura un instant muet. Le silence dans lequel se renfermait le Hollandais l’étonnait au plus haut degré. Voyant que son interlocuteur n’ajoutait rien, il reprit la parole. — Vous ne voulez pas, vous ne voulez pas… Je viens de vous prouver que vous avez tort de ne pas vouloir, comme nous avons raison de désirer votre réunion.

— Monsieur, répliqua le Hollandais, je vous ai laissé parler sans vous interrompre. J’étais bien aise de savoir ce que vous pourriez dire en faveur d’une thèse qui, je ne vous le cache pas, nous peine et nous blesse quand nous l’entendons émettre. Vous trouveriez aisément dans mon pays, surtout dans les classes instruites, des hommes aimant l’Allemagne, qui même ont pris hautement parti pour elle dans sa dernière guerre avec la France ; cependant je ne sais pas si vous en trouveriez un seul disposé à lui faire, même pour la plus minime part, le sacrifice de notre indépendance nationale.

— Mais enfin, repartit l’Allemand, vous n’alléguez rien contre les argumens, à mon avis, très forts que j’ai avancés. Vous me parlez uniquement, comme si cela suffisait, de votre répugnance à l’idée de cesser d’être Bas-Allemands, des Niederdeutschen, pour devenir, comme nous tous, Germains du nord et du midi, des Allemands, des Deutschen tout court. La question, encore une fois, est de savoir si cette répugnance est rationnelle, si elle est conforme à une appréciation équitable des réalités.

Je crus alors avoir le droit de placer mon mot. — Je suis de