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l’avis de notre commensal hollandais, dis-je à l’Allemand. Vous n’attachez donc aucune importance à ce qui paraît en France, et, je le pense, paraît aussi en Hollande, la raison majeure de la légitimité ou de l’iniquité d’une annexion, je veux dire le libre consentement des populations ? La France, pour son malheur, n’a point toujours été fidèle à ce principe souverain, moderne, inséparable de son principe démocratique ; cependant on peut dire pour l’excuser que, tant qu’elle s’est appartenue à elle-même, elle l’a toujours hautement proclamé, et que si, même alors, elle lui a fait quelquefois violence, c’est égarée par l’illusion qui lui faisait croire à plus de sympathies qu’elle n’en inspirait réellement. Vous, en Allemagne, vous commencez par dire : Ceci pourrait être à nous, pour ajouter bientôt : Ceci devrait être à nous, et, dès que l’occasion favorable surgit : Ceci est à nous ! Et vous faites comme vous dites, en haussant les épaules quand on vous parle du droit supérieur des populations qui ne veulent pas être annexées. Vous prenez pour des titres de propriété l’avantage d’avoir de meilleures frontières, plus de côtes et de ports, des issues tout à fait libres pour votre commerce. Avouez que cela touche au fond très peu les gens dont vous prétendez faire le bonheur. La Hollande, nation déjà vieille, justement fière de son histoire, qui pesait en Europe à l’égal des grandes puissances quand les électeurs de Brandebourg n’étaient encore que des principicules, la Hollande est foncièrement attachée à sa liberté nationale, et quand un peuple est vraiment un peuple, quand sa nationalité est non pas une expression diplomatique ou géographique, mais une partie intégrante de la conscience de tous, quelque chose d’entré dans le sang et la moelle des générations, c’est bien en vain que vous faites briller les avantages matériels ou autres qui résulteraient d’une abdication. L’amour de la patrie est plus fort que la séduction des intérêts. C’est comme si vous engagiez un enfant de bonne maison à renier son père et sa mère en lui promettant une plus belle chambre et une bourse mieux garnie ; il vous répond simplement : J’aime trop mes parens pour vous écouter.

Je vis mon Hollandais secouer la tête à plusieurs reprises en signe d’approbation complète. L’Allemand ne se tint pas pour battu. — J’aurais beaucoup de choses à opposer à votre prétendu principe, reprit-il, mais je m’en tiens à votre comparaison finale, qui cloche, mon cher monsieur. Il ne s’agit pas ici d’un enfant, qu’on voudrait arracher à sa famille pour le faire entrer dans une famille étrangère. Il s’agit d’une famille de frères longtemps divisés, qui ont appris par une rude expérience les calamités de tout genre résultant pour eux de cette division, et qui pour la plupart sont désormais groupés sous la direction du plus habile et du plus fort d’entre eux. Il est toutefois un frère qui persiste encore à rester