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plus digne d’intérêt des avertissemens que la quiétude hollandaise ait reçus est venu d’Allemagne même, d’un écrivain, Hollandais il est vrai, mais vivant depuis plusieurs années au milieu des Allemands et ne pouvant se défendre d’une patriotique anxiété sur l’avenir que l’Allemagne nouvelle pourrait bien réserver à son pays natal[1].

L’auteur du livre dont nous allons parler est M. A. Pierson, ancien pasteur d’une église réformée en Hollande. Il y a quelques années qu’il se démit de ses fonctions ecclésiastiques ; ses opinions religieuses ne lui permettaient plus, semble-t-il, de continuer à les remplir consciencieusement. M. Pierson était fort goûté comme orateur en Hollande, et l’est toujours comme écrivain. En quittant son pays, il se retirait à Heidelberg, où bientôt il occupa, d’abord comme simple docent, puis comme professeur extraordinaire, une des chaires de l’université. Rien ne serait plus injuste, ayons soin de le dire, que de l’accuser d’avoir écrit son livre dans une pensée hostile au pays qu’il habite. Ce n’est ni l’Allemagne ni même l’unité allemande qui l’inquiète pour l’avenir de sa patrie, c’est la manière dont cette unité s’est faite et surtout l’énorme pouvoir confié aux mains d’une dynastie dont le passé est bien propre à inspirer les plus vives inquiétudes à toute nation pouvant passer pour être de bonne prise. Il revendique pour lui, non-Allemand domicilié dans le grand-duché de Bade, le droit de parler des affaires d’Allemagne avec la même liberté et la même sympathie qu’un Allemand de naissance, et en particulier de professer la même opinion que les nombreux Badois qui ne cachent pas leur aversion pour le régime imposé de Berlin à toute la nation allemande. Il ne peut pas et ne veut pas admettre que l’Allemand proprement dit, celui qui n’écoute que sa probité native, nourrisse des envies d’annexion violente contre un peuple inoffensif qui veut rester lui-même ; mais il se défie des convoitises prussiennes, de la facilité avec laquelle la Prusse, mise en appétit, pourrait donner le change à l’Allemagne sur le caractère moral de ses spoliations préméditées, et il s’effraie de voir que dans son pays, ou du moins dans certaines régions, règne un optimisme prussophile qui semble avoir oublié toute l’histoire antérieure de cette puissance essentiellement conquérante.

« On est en train chez nous, j’en ai peur, dit-il, d’idéaliser la Prusse. Des âmes pieuses attendent de sa suprématie l’avancement du règne de Dieu sur la terre. Des amis du peuple saluent, dans les victoires remportées par la Prusse sur l’Autriche et Napoléon, le triomphe de l’état moderne. Chacun peut s’améliorer ; mais, pour savoir jusqu’à quel point ces espérances sont fondées, il serait

  1. Herinneringen uit Pruisen’s geschiedenis (Souvenirs tirés de l’histoire de Prusse), Arnhem, 1872.