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de sa force morale, et, si cette égide ne suffisait pas à la protéger, elle est trop faible pour se défendre avec chance de succès.

Le raisonnement est spécieux, mais il n’est que cela, et le bon sens du pays en a fait immédiatement justice. Il est vrai qu’en face de la multitude d’hommes armés dont l’Allemagne pourrait inonder la Hollande, le peuple hollandais, même levé en masse, ne pourrait mettre en ligne qu’une armée relativement peu nombreuse. Il aurait bien de la peine à réaliser un chiffre supérieur à 150,000 combattans. On doit même ajouter que, si la guerre devait durer longtemps sans l’intervention de l’Europe, la Hollande succomberait infailliblement. Une guerre de quatre-vingts ans ne serait plus possible aujourd’hui, comme elle le fut jadis contre l’Espagne ; mais il faut maintenant faire entrer en ligne de compte l’acharnement avec lequel le peuple se défendrait. Les quelques voix qui s’élèveraient pour conseiller une soumission honteuse seraient noyées dans la réprobation générale. Des jugemens très divers sont portés sur le roi de Hollande, Guillaume III ; mais de l’aveu de tous c’est un soldat énergique, portant haut la conscience de ce qu’en pareil cas il devrait au glorieux nom de sa race. Personnellement très courageux, il se ferait hacher à la tête de son armée plutôt que de devenir l’homme-lige d’un empereur allemand quelconque. L’appel qu’il adresserait à son peuple au nom du pays en danger électriserait les masses, qui ne lui refuseraient rien ni en hommes ni en argent. En second lieu, des militaires très compétens, le premier Napoléon entre autres, ont toujours eu la plus haute idée de la force de résistance que la Hollande, bien décidée à se défendre, est en état d’opposer à ses envahisseurs. Le pays est plat, mais tellement sillonné de fleuves, de canaux, de fossés pleins d’eau, que les grandes manœuvres sont à peu près impossibles sur la partie la plus importante du territoire. L’artillerie, par exemple, ne peut circuler que sur les chaussées empierrées qui coupent les interminables prairies néerlandaises. Partout ailleurs elle s’enfoncerait dans un sol spongieux qu’il faut continuellement relever pour qu’il ne s’affaisse pas au niveau des eaux dormantes. Il existe un plan très ingénieux, fondé sur la configuration particulière du sol, qui permettrait en cas de besoin d’inonder toute une large bande de terrain, partant du Zuiderzée, contournant Utrecht, allant rejoindre la Mer du Nord, et qui ferait de la Hollande proprement dite une île-forteresse qu’on ne pourrait bloquer, à moins de disposer de forces maritimes très considérables. Derrière cette ceinture aquatique, s’appuyant sur des forts espacés au milieu des eaux, les défenseurs du pays pourraient défier longtemps les coups du plus puissant ennemi. Le grand inconvénient de ce plan est toutefois que les provinces situées au-delà de cette ligne de défense devraient être abandonnées