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Francesco Pipino et à d’autres, qui l’attestent. Villani, en particulier, nous l’apprend en termes trop précis pour qu’on en puisse douter. Trois cardinaux, Richard de Sienne, légiste, Guillaume le Long, Jean de Murro ou de Namur, théologien, Francesco Gaetani et frère Gentile de Montefiore, canoniste, parlèrent pour la justification du pape devant le roi et son conseil, et deux chevaliers catalans se seraient offerts à prouver l’innocence de Boniface l’épée à la main contre les deux plus vaillans de la noblesse française, qu’il plairait au roi de désigner. De quoi, selon Villani, le roi et les siens demeurèrent confus. Le concile déclara, dit-on, que le pape Boniface avait été catholique, pape légitime, et n’avait rien fait qui le rendît coupable d’hérésie ; mais, pour contenter Philippe, le pape décida que le roi ni ses successeurs ne pourraient jamais être recherchés ni blâmés pour ce qui avait été fait contre Boniface, sous le nom et l’autorité du roi, soit en Italie, soit en France, soit par les Colonnes, soit par Nogaret ou toute autre personne que ce pût être. La cour de France semble du reste, à cette date, beaucoup moins tenir à brûler les os de Boniface. Nogaret était absous, le roi avait obtenu une pleine victoire sur les templiers ; le squelette du vieux pape pouvait maintenant dormir en paix dans sa tombe vaticane : le monde qui entourait Philippe était trop positif pour perdre son temps, quand il avait atteint ses fins temporelles, à poursuivre une accusation théologique contre un mort.

Ainsi se termina cet étrange procès. Si le roi n’obtint pas le but apparent qu’il s’était proposé, il avait au fond pleinement réussi. Il resta, dans l’opinion des siècles suivans, « le vengeur de tous les rois et potentats de la chrétienté, le champion de la foi, le défenseur de l’église ; » on reconnut qu’il avait eu raison de convoquer un concile général contre le pape, qu’en cela il avait été mû non par haine, mais par charité et zèle de la foi et de la justice. Jamais la violence, la dénonciation calomnieuse, le faux témoignage, n’avaient reçu un tel encouragement. Le brutal guet-apens devenait un acte de respect filial. Le roi sortit de l’affaire blanc comme neige. Nogaret fut quitte pour déclarer le déplaisir qu’il avait eu de ce qui s’était passé au pillage du trésor ; on reconnut qu’en principe il n’avait rien attenté d’illicite ni qui ne fût dans les termes du droit et d’une légitime défense. Tous les coupables furent remis, en tant qu’il était besoin, en leur premier état. Tous les actes contraires à l’honneur et aux intérêts du roi furent biffés dans les registres de la chancellerie romaine, où on les voit encore aujourd’hui portant des ratures faites par un notaire apostolique, sur l’ordre exprès de deux cardinaux dont l’un est Bérenger de Frédol, et de la part du pape[1].

  1. De expresso mandato rev. patrum,… facto mihi per eos ex parte sanctissimi patris, domini nostri D. Clémentis,… qui hoc eis pluries mandaverat, ut dicebant.