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les peuples ont jugé que les postes doivent se dégager autant que possible de leur caractère fiscal, que les rapports de famille ne sont point de nature à être taxés, et que le trésor public gagne plus au développement de l’industrie et du commerce, favorisé par l’abaissement des taxes postales, qu’il ne gagnerait par la perception de taxes élevées. C’est en vertu de cette doctrine économique et libérale que dans tous les pays, en France comme ailleurs, on a depuis trente ans simplifié et réduit les tarifs des correspondances. Cependant, tout en opérant ces réductions, les gouvernemens se sont appliqués à ce que la poste rapportât au moins ce qu’elle coûte. Ils ont bien voulu ne pas réaliser de gros bénéfices, mais ils n’ont point voulu subir de pertes. Les États-Unis font exception à cette règle. Ils ont adopté une taxe très basse (15 centimes). Sur leur territoire immense et avec leur population éparse, ils ont le plus grand intérêt à développer les relations, et il leur aurait fallu établir un tarif fort élevé pour couvrir leurs frais. Ils ont préféré subir un grand sacrifice d’argent pour hâter l’œuvre du peuplement et de la colonisation, qui est, dans le Nouveau-Monde, l’œuvre capitale. Sauf cette exception, qui s’explique par des considérations particulières et impérieuses, les grands états ont organisé leur service postal de manière à ne pas perdre, et, quand ils gagnent, à ne pas gagner beaucoup.

Comment donc se fait-il qu’il y ait une telle différence entre la taxe française, même quand elle n’était que de 20 centimes, et les taxes de l’Angleterre, de l’Allemagne et d’autres nations ? C’est que la taxe, purement rémunératrice, doit être calculée d’après les dépenses et l’importance du service rendu. Si la France a plus de 40,000 boîtes aux lettres, levées au moins une fois par jour, tandis que l’Angleterre n’en compte que 18,000 et l’Allemagne entière (y compris l’Autriche) 35,000, si elle a une armée de 20,000 facteurs, effectif très supérieur à celui que possède l’Angleterre ou l’Allemagne, si elle entretient des bureaux dans les pays du Levant, et si elle subventionne plusieurs lignes de paquebots, alors que l’Allemagne ne sacrifie pas un centime pour faciliter les correspondances d’outre-mer, on comprend que le service français, plus étendu, plus fréquent, plus complet que le service anglais ou allemand, coûte plus cher, et que par suite sa taxe soit plus élevée. Économiquement, le transport des correspondances est une industrie, et l’opération en elle-même n’est autre chose qu’un produit. Or il y a produit et produit. Les services de postes ne sont pas absolument identiques, et ils ne sont pas aussi perfectionnés ni aussi coûteux. Voilà tout le secret de la différence entre la taxe française et certaines taxes étrangères. Cette assertion peut