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et de leur talent qu’ils prennent au sérieux cet art admirable et si français qui a fait plus que tout autre notre renommée littéraire dans le monde. On leur rappelle que la culture unique de bien des intelligences est entre leurs mains, et que leur mission de continuer de glorieux devanciers est assez belle pour combattre les séductions de la paresse ou les amorces de l’argent. L’occasion paraît favorable. La pénurie relative des plaisirs promet aux théâtres une clientèle, soit qu’ils continuent de représenter des œuvres comme celles que nous voyons, soit qu’ils s’efforcent de mieux faire. Pourquoi préféreraient-ils le médiocre à ce qui pourrait être bon ? Attendront-ils que le public s’éloigne de ces compositions qui se trouvent en désaccord avec ses sentimens ? Ce qui n’est pas douteux pour nous, c’est que le théâtre de 1872 est la fidèle reproduction de celui de 1869, que les spectateurs attendent quelques essais nouveaux, et que le passé d’il y a trois ans est vieilli d’une génération. Nous avons voulu, dans les pages qui suivent, constater que la littérature dramatique est demeurée stationnaire, montrer qu’il y a nécessité pour elle de se renouveler, indiquer ce qui peut survivre et ce qui doit périr, soit dans les élémens dont elle se compose, soit dans les ouvrages qu’elle a produits.


I

Entre les noms que répètent avec le plus de faveur les échos de nos théâtres, il en est un qui a forcé la renommée à s’occuper de lui. Nous suivrons l’exemple de la renommée, et nous parlerons de M. Victorien Sardou avant d’aborder les écrivains qui représentent plus décidément le niveau de l’art dramatique. Ceux-ci forcent une liste que l’auteur de Fernande veut sans doute grossir de son nom ; il reste à savoir précisément si cette ambition de sa part est justifiée.

Il y a quelques années, M. Sardou a fait naître chez ceux qui s’intéressent à la destinée de notre théâtre un mouvement de curiosité. Le drame historique de Patrie n’avait pas le mérite de l’originalité : il rappelait à la mémoire une pièce oubliée aujourd’hui, le Bourgeois de Gand, qui avait trouvé en 1839 sa saison favorable, l’âge d’or du drame ingénu et patriotique : Pour M. Sardou, c’était pourtant une tentative nouvelle, et qui pouvait lui faire honneur. Il annonçait le désir de quitter le métier où il était parvenu d’ailleurs à une grande habileté de main, pour entreprendre de faire œuvre d’art à son tour. Rien ne mérite plus d’encouragement que le dessein d’un auteur qui a surpris la fortune, mais qui profite de ce coup de bonheur pour tâcher de le mériter. Cette résolution-là se