Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/912

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une collection de petites gens, tracassiers et mal élevés ; vous avez Nos Bons villageois. La comédie de Nos Intimes est à peu près composée de même ; celle des Ganaches ne s’en éloigne pas sensible-* ment. Nous ne voyons pas. que les caricatures des incrédules et des dévots soient nécessaires dans Séraphine. Il n’y a peut-être que la Famille Benoîton dont les personnages ridicules soient indispensables à l’action même. Remarquez qu’entre les pièces de M. Sardou c’est la seule à peu près, malgré ses vulgarités, qui soit reprise après que la curiosité première du public a été satisfaite.

Pourquoi trouvons-nous l’intérieur d’une maison de jeu dans Fernande ? Est-ce que l’histoire de cette jeune fille déshonorée se rattache naturellement à ces incidens du lansquenet et du trente-et-un à huis-clos ? Ne pouvait-elle se dérouler entièrement sans que l’auteur fit apparaître son sculpteur qui ne fait pas de statue, son commandeur américain chargé de pierreries et de décorations, toutes ces caricatures dont ils était facile de se passer ? Il y a mille manières pour une jeune fille de se perdre sans entrer dans le détail de tel ou tel monde équivoque dont les personnages ne sont pour rien dans le drame. Diderot, le hardi conteur auquel M. Sardou a emprunté son sujet, se contente de dire que la jeune personne en question avait tenu avec sa mère un tripot. Ce simple mot est devenu un acte fort long, et occupe un bon tiers de la comédie, après quoi tout reste à faire, et la pièce commence. Cette Clotilde qui était dame de charité, mieux encore, protectrice et mère de filles repenties, l’auteur en fait d’un tour de main la plus méchante des femmes. Pour se venger d’un amant qui ne l’aime plus, et dont elle arrache l’aveu dans une scène parfaitement filée d’ailleurs, elle lui fait épouser la fille perdue qu’elle patronne, qu’elle lui présente, qu’elle lui jette à la tête, pour lui dévoiler tout après le mariage et jouir de sa vengeance. M. Sardou croit-il sérieusement qu’une femme qui a de tels trésors de haine ait un tel surcroît de charité ? Celle qui était tout entière à son amant et à sa jalousie n’avait pas le loisir de chercher les pécheresses tombées plus bas pour les relever ; par suite du même raisonnement, celle qui a le souci de l’honneur des autres ne s’abaisse pas à une intrigue qui ravale le sien au niveau des plus infâmes. En un mot, ce n’est pas la même femme, l’unité morale de ce caractère n’existe pas plus que l’unité de la composition. On en pourrait dire autant des autres. Est-il nécessaire d’ajouter que la dextérité habituelle de M. Sardou l’a sauvé de tous les mauvais pas où il s’engageait ? L’auteur fait de ses personnages tout ce qu’il veut, non ce qu’ils doivent être, étant donnée leur nature. Ils agissent non suivant les mobiles qu’il suppose en eux, mais suivant les ressorts qui servent