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Il est sobre de combinaisons et de coups de théâtre ; le cœur humain semble à son talent un assez vaste champ à parcourir. Il fait une tragédie presque avec rien (il le dit lui-même) parce que la passion est inépuisable. De tous nos auteurs contemporains, et dans la distance qui sépare les œuvres de notre siècle de celui de Racine, M. Octave Feuillet est l’écrivain qui ressemble le plus à l’auteur de Phèdre et de Bérénice, tantôt hardi et passionné dans sa prose comme un souvenir de Phèdre, tantôt doux et tendre comme un écho de Bérénice.

De quoi se compose le drame de Julie ? D’une femme que la nature et l’éducation avaient faite vertueuse, et que les déréglemens de son mari poussent à sa perte, d’un ami qui trahit le devoir de l’amitié pour avoir trop compté sur sa force, d’un époux qu’aveugle sa légèreté, et qui se ravise quand il est trop tard. Rien n’est plus simple et plus malheureusement vrai que cette donnée dramatique. L’auteur la simplifie encore en se refusant les développemens progressifs des trois caractères, et nous ne pouvons que l’approuver ; il eût été dangereux d’offrir une longue étude de la vie intime à un public blasé par les péripéties violentes, et de trop compter sur les nuances pour retenir des spectateurs qui n’en ont pas assez le sentiment : on pouvait se passer de l’incident de l’orage et de la maison du garde, qui nous paraît en désaccord avec le ton de l’œuvre tout entière ; c’est une incursion sur un domaine qui n’est pas celui de M. Octave Feuillet. Si Julie doit faillir, autant vaut qu’elle succombe de propos délibéré, comme une femme qui se perd d’elle-même après avoir lutté. Nous ne voyons pas ce que la morale gagne à une surprise, à un fâcheux concours de circonstances ; nous voyons très bien ce que le drame y perd. En écartant cette conception de détail, la composition dramatique de Julie demeure entière.

Ces réflexions sur les œuvres représentées dans les trois dernières années seraient sans objet, si elles n’aidaient pas à entrevoir ce que les écrivains doivent se proposer de faire. Nous avons assez montré, avec M. Sardou, de combien de manières on peut manquer à l’unité morale des caractères : le drame de Julie nous apprend au besoin comment on y reste fidèle. Le mari, la femme, l’amant, ont en eux un principe d’action dont ils ne s’écartent pas, une passion qui les pousse, une volonté qui tâche de lutter, une conscience qui parle et qui les condamne, tout ce qui compose, en un mot, des êtres libres et agissans, non des marionnettes à ressorts. L’amant reste un galant homme jusqu’à ce que les conseils désintéressés qu’il donne soient repoussés avec dédain. La femme, offensée de toutes les manières, privée de la société de sa fille, garantie sacrée