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c’est ne pas fournir par des tableaux de fantaisie des sophismes à ceux qui rêvent la destruction de la société. Enfin aimer son pays, c’est employer un heureux talent à réveiller en lui le sentiment du devoir, le goût des choses pures, l’admiration des nobles sacrifices ; c’est lui offrir des consolations ou de nobles plaisirs, c’est lui apprendre, quand on a l’honneur de le réunir devant cette illustre scène française, à garder son rire pour ce qui est vraiment risible, et ses larmes pour ce qui fait pleurer l’honnête homme et le bon citoyen. M. Dumas a le patriotisme et le talent : qu’il les interroge dans le secret de sa conscience d’artiste ; ils lui montreront la voie nouvelle où il pourra trouver de meilleurs applaudissemens.


III

Parmi les noms moins populaires ou plus nouveaux, deux, grâce à leurs succès, semblent mis hors de pair, ceux de MM. Edouard Pailleron et Edmond Gondinet. M. Pailleron est, dans la génération des jeunes écrivains, celui qui a le plus de ressemblance avec M. Augier. Échappées de poésie, tour d’esprit satirique, dialogue excellent, autant de qualités qui leur sont communes et qui leur valent les mêmes suffrages. Ils sont, avec des titres que l’expérience et le temps ne permettent pas encore de mettre dans la même balance, les poètes qui répondent le plus exactement à cette société émancipée, sans préjugés, mais sensée, attachée à ses traditions de politesse, de littérature et de goût. Nous ne prétendons pas que M. Pailleron suive les traces de son devancier : si quelque chose est vrai de la situation, c’est qu’on peut classer les auteurs suivant deux ou trois idées générales ; mais il n’y a pas d’école. Les chercheurs dispersés poussent leur pointe chacun de son côté. On s’observe, comme on l’a toujours fait d’ailleurs, sans être divisé en deux ou trois camps ; on est à l’affût de ce qui se présente de nouveau, prêt à courir vers le filon fraîchement découvert. On tente peu d’efforts périlleux ; les sages ne veulent pas risquer ce qui n’est pas essayé déjà ; on attend le résultat obtenu par les aventureux. M. Pailleron nous semble donc un travailleur isolé comme les autres, un des plus ardens au culte de cet art du théâtre. Il se rapproche de l’auteur de la Ciguë et de Gabrielle, et ne procède pas de lui. Certaines qualités de jeunesse le prouveraient au besoin. Il n’est pas venu au monde de la littérature en un temps de lutte entre des imaginations sans frein et un bon sens satisfait de ses qualités négatives ; il n’en a pas gardé une mesure de scepticisme presque inévitable. Son penchant pour la poésie est aussi plus déclaré. Sa comédie des Faux Ménages en porte très bien le caractère.