Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/107

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Ducarre, des collègues autour de moi réclament et me répondent : Il est citoyen du monde ! — Et nous sommes obligés de subir le citoyen du monde qui peut-être était un agent de la police étrangère, le citoyen du monde venant parlementer avec nous dans notre ville natale, dans notre pays ! » M. Héligon, de son côté, raconte une scène non moins étrange, non moins significative, où il a été acteur. Au lendemain du 18 mars, au moment où il y a encore des négociations, on presse des délégués du comité central de se rendre l’Hôtel de Ville. L’un des délégués, Jourde, s’emporte, s’écrie qu’ils vont être les maîtres de la France. « Et les Prussiens, lui dit-on, qu’en ferez-vous ? — Les Prussiens ne bougeront pas. — Mais enfin vous admettez bien que, s’ils veulent entrer dans Paris, ils y entreront. — Eh bien ! si nous sommes vaincus, nous brûlerons Paris et nous ferons de la France une seconde Pologne ! »

Voilà le dernier mot de cette insurrection du 18 mars : faire de la France une seconde Pologne ! Un autre des acteurs de la commune disait avant ces tragédies : « Nous, ou le néant ! » Non ; heureusement, entre les insurrections de ce genre et le néant, il y a la France, qui ne se laisse pas tuer ainsi, qui garde une assez énergique vitalité pour se redresser au moment où l’on croit l’avoir abattue dans la poussière, pour triompher des commotions intérieures aussi bien que des désastres d’une guerre néfaste. Que tout ce qu’il y a de haines survivantes, de ressentimens, d’instincts de destruction, se rallie encore aujourd’hui, comme le dit l’enquête, sous le nom compromis de l’Internationale, c’est possible. Seulement on a vu maintenant ce qui en était, on a fait une expérience aussi instructive que douloureuse, et qui doit rester désormais devant les yeux de ceux qui gardent leur foi aux principes généreux de la première, de l’ancienne révolution et à la vieille patrie française. On sait, pour l’avoir appris une fois de plus et plus durement que jamais, que la force des révolutionnaires n’est le plus souvent qu’une force factice due à des circonstances exceptionnelles ou à un instant de surprise. Assurément un pays comme la France n’est pas de ceux qui disparaissent dans une aventure. A la dernière extrémité, il se place sous la sauvegarde des armes ; mais il y a aussi une autre défense plus efficace, plus sûre, parce qu’elle prévient les crises, c’est d’opposer à ceux qui prétendent se jeter sur la patrie et sur la civilisation comme sur une proie un sentiment national ravivé et retrempé par le malheur, la vigueur intérieure d’une société qui reprend ses forces en retrouvant son culte traditionnel pour toutes les grandeurs morales.


CH. DE MAZADE.