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Une chose que l’on constate avec un sensible plaisir en parcourant les rues de Dijon, c’est qu’elle a eu le bon sens de ne pas se laisser emporter par cette fièvre de transformation qui s’était emparée de toutes les villes de France il y a quelques années, et qu’elle n’a cherché à se renouveler que dans la mesure où l’exigeaient les nécessités de la vie moderne. Je ne connais pas de ville où l’on ait ménagé plus judicieusement l’espace ; on dirait que les habitans ont compris la leçon de bon goût qui leur avait été donnée par Le Nôtre dans le joli petit parc placé à leur porte, et qu’ils ont voulu la mettre à profit. Rien de plus intelligent que la petite place en demi-cercle par laquelle ils ont découvert leur superbe hôtel de ville. Lorsqu’en suivant la longue rue qui mène à cet édifice on tombe dans ce demi-cercle, on éprouve exactement la même sensation que lorsqu’on tire sous vos yeux le rideau qui protège la toile d’un grand maître. Ils ont parfaitement compris qu’ici la place devait être une simple annexe de l’édifice, et ne devait avoir d’autre ambition que celle de le faire valoir. Grâce à cette heureuse disposition, le spectateur embrasse sans efforts et sans fatigue la vaste façade de ce bel édifice du XVIIe siècle ; il le contemple tout entier et il ne contemple rien d’autre ; son attention ne redoute aucune distraction, puisque devant lui le palais occupe tout l’espace que son œil peut parcourir, et que derrière lui le demi-cercle en se fermant lui dérobe toute autre perspective. Ainsi judicieusement dégagé, il a vraiment très grand air, ce palais du XVIIe siècle construit sur l’emplacement du palais des ducs, dont il enclave quelques parties. En le regardant, je ne puis m’empêcher de me rappeler ce que, dans ses causeries à propos du cheval de Phidias, notre collaborateur Victor Cherbuliez a si bien dit sur la préférence que le siècle de Louis XIV donna au cheval normand, aux membres épais et à l’ample croupe, sur le cheval arabe, aux formes grêles et ardentes. Entre ce palais et les monumens de la renaissance, ou les charmans édifices civils élevés par l’art gothique à sa dernière période, il y a juste en effet la même différence qu’entre le massif cheval normand et l’élégant cheval arabe ; il est bien un peu lourd, mais, n’importe, il est imposant, cet édifice avec sa large façade et ses trophées sculptés, emblème d’une paix majestueuse appuyée sur la force. Par derrière se dresse, altière et comme jalouse de maintenir la prééminence d’un souvenir plus ancien, la haute tour du palais des ducs, et, ainsi dominé, ce palais ressemble véritablement à un sénat de gentilshommes présidé par un souverain.

Une autre remarquable perspective, obtenue avec aussi peu d’ostentation, est celle que présente à quelque distance de l’hôtel de ville l’église de Saint-Michel, qui forme l’extrémité d’une longue rue