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auprès de lui aient été inutiles, mais je ne me rebute pas pour cela. » Stanhope répondit par ce billet secret qui marque bien le caractère que les deux diplomates entendaient donner à l’alliance. « Cette alliance doit être une parfaite amitié et entière confiance entre nos maîtres. J’espère que ces deux princes seront amis à tel point qu’ils pourront faire grand bien aux serviteurs l’un de l’autre en se les recommandant réciproquement. Or je vous promets d’avance que, si vous pouviez jamais suggérer au roi mon maître les moyens de vous rendre service, il le ferait du meilleur de son cœur, tant vos manières et tout votre procédé lui ont plu. » Dubois avait raison : la vertu de Stanhope était de celles qui « ne se gendarment pas. »

Malgré les bonnes dispositions du secrétaire d’état et une heureuse entrée en matière, la mission de Dubois se heurtait à des difficultés considérables. On s’en fera une juste idée par cette simple remarque : l’alliance avait contre elle l’opinion publique des deux pays, le parti espagnol dans le gouvernement français et toutes les chancelleries d’Europe ; elle ne comptait guère d’autres partisans bien décidés que les diplomates qui la négociaient. Dubois put voir dans ces débats quelle crainte inspire aux agens d’un pays libre le contrôle d’une assemblée ; il n’était pas un des ministres du roi George qui ne fût convaincu qu’en travaillant au traité il jouait sa fortune et sa tête. « Les Anglais, écrivait-il au maréchal d’Huxelles, portent leurs scrupules et leur timidité si loin qu’ils refusent de corriger une faute d’orthographe dans la crainte que dans dix ans cela puisse servir à faire leur procès au parlement, ce qui est devenu en eux comme un sentiment involontaire contre lequel rien ne les rassure. On m’en a rapporté des exemples qui feraient une scène de comédie. » Combattu par les influences hostiles, le roi George hésitait : comme tout prince mal affermi, il était sensible au désir d’abattre ses compétiteurs en leur enlevant l’appui de la France ; mais l’opposition du parlement, les clameurs de son entourage, la défiance que lui inspirait le régent et surtout l’ascendant de l’empereur l’arrêtaient. L’empereur avait alors en Europe, grâce aux fautes de Louis XIV et à l’épée du prince Eugène, une situation comparable à celle que les événemens de 1814 et de 1815 ont donnée un siècle plus tard à la Russie. « On ne saurait croire, écrit Dubois, à quel point l’empereur est ici redouté. Son étoile, ou pour mieux dire sa comète, car c’est une étoile effrayante, a une terrible influence sur cette cour. » Au moment où l’agent français mettait le pied en Hollande, le canon de Peterwaradin avait de l’écho dans toute l’Allemagne ; il n’était bruit que de la défaite des Turcs et de la gloire des armes impériales. « On m’a envoyé humer une étrange nouvelle pour le succès de nos affaires,