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en traits saisissans la conviction, dont il était animé. « Je voudrais pouvoir racheter d’une partie de mon sang le temps que d’inutiles difficultés nous ont fait perdre. Ces longueurs nous coupent la gorge. On nous a reproché autrefois, monseigneur, pendant vos études, de compter par minutes. Je mérite bien mieux présentement ce reproche, et les minutes me paraissent plus longues que des heures entières à un écolier retenu à l’étude par force, tant j’ai d’impatience que vous ayez ce papier bien signé dans votre cassette. Quand vous serez libre dans votre taille de tous les côtés, vous écouterez plus tranquillement les balivernes qu’on vous débitera. Il est clair que cette alliance déterminera le système de l’Europe pour longtemps, et donnera à la France une supériorité qu’elle ne pourra pas acquérir autrement. Cela posé, elle me paraît sans prix, et, si j’étais le maître, j’aimerais mieux donner 30 millions que de la manquer. » En regard de cette déclaration, on lit une note écrite à la marge de la main du régent : Je pense comme vous sur tout cela.

La langue diplomatique de Dubois, comme on a pu le voir déjà, a plus de vivacité que de concision, plus d’originalité que d’élégance. Ses dépêches sont des conversations verbeuses, mais toujours claires dans leur abondance négligée ; le sujet y est examiné sous toutes ses faces, et les répétitions servent à mettre en relief l’idée principale. Dubois n’emprunte pas aux chancelleries leur stylé ; il garde le sien, qui est l’image de son esprit, plus pétulant que distingué. Le fond de cet esprit, c’est la verve et la gaîté, c’est la finesse enluminée de belle humeur, avec, une pointe de gaillardise ; tout cela éclate en trivialités pittoresques, sans penser le moins du monde à se mortifier et à s’éteindre sous la froideur d’un genre convenu. Dubois est le moins académique des diplomates, et, si sérieusement qu’il joue un rôle très sérieux, il ne peut s’empêcher d’avoir le mot pour rire dans les situations les plus critiques. « Jamais Hibernois, écrit-il à Pecquet, n’a tant ergoté que moi. J’a estocade comme un prévôt de salle, mais j’ai reçu de terribles estocades, et j’aurais eu grand besoin d’un second tel que vous. J’ai soutenu opiniâtrement tout ce que vous m’avez appris, et j’ai été martyr de vos vérités comme les premiers chrétiens da Rousseau. » Il ne hausse pas le ton, même en écrivant au régent. « Souvenez-vous, monseigneur, que la chandelle brûle, et que les pieds me grillent… Ces lenteurs m’ont coûté plus de larmes qu’il n’en tiendrait dans un seau. Je vois les difficultés grossir à tous momens comme les boules de neige qui tombent des Alpes, qui n’auraient pas d’abord couvert un oiseau et qui à la fin accablent des caravanes tout entières. » On saisit ici le caractère du style de Dubois ; c’est une langue imagée et familière, faite de comparaisons, de bons