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l’Angleterre ! » ce qui fut répété par cinq cents voix et bu de la même manière à sept ou huit tables où était la principale noblesse d’Angleterre. »

Ces santés trop fréquentes mirent au lit pour quinze jours l’hôte de la Grande-Bretagne, avec la toux, la fièvre, la goutte au genou et un rhumatisme à la hanche. Menacé « d’une catastrophe dans sa fragile machine, » il consulta Chirac. « Le travail et les chagrins, les repas et le vin ne m’ont pas fait un sang fort doux. Incapable de toute occupation suivie, je ne fais plus rien que souffrir impatiemment. Je prends du lait de vache coupé le matin et le soir, un lavement par vingt-quatre heures et un potage à dîner… Je suis bien aise, monsieur, ajoutait-il avec sa bonne humeur toujours gaillarde, qu’on vous ait donné le Jardin du roi, c’est la promenade des amans qui boudent et qui veulent se raccommoder ; vous étendrez ; cette destination à ceux qui ne peuvent se raccommoder. » — Quels étaient donc les « chagrins » que Dubois accusait de lui aigrir le sang ? quelles peines d’esprit pouvaient se mêler à la douceur de ces relations si cordiales qui lui garantissaient le fidèle appui de l’Angleterre ?

Albéroni, décidé à tout pour ruiner l’homme et le système qui tenaient en échec sa politique, avait fait subitement volte-face ; tandis qu’il ourdissait en France la conspiration de Cellamare, il offrait au régent l’alliance espagnole avec tous les avantages si laborieusement cherchés dans l’alliance anglaise. L’offre, habilement présentée, avait séduit l’esprit indolent du prince par la flatteuse apparence de concilier, sans plus d’ennui, ses intérêts personnels et ses devoirs de famille, — de couper court aux tracasseries de l’intérieur. Il s’en ouvrit à Dubois. Celui-ci, démêlant l’artifice, et se sentant touché par ce coup imprévu, représenta au régent combien était suspecte l’amitié d’un ennemi qui venait se jeter brusquement dans ses bras, quel piège cachait cette manœuvre, dont le but se démasquerait aussitôt qu’on aurait réussi à détacher la France de l’Angleterre. « C’est un point bien délicat, monseigneur, que les nouvelles ouvertures que l’on a faites à votre altesse royale. J’ai frémi à la vue de ce qu’on lui propose. Quand je serai instruit du détail de ce projet, je consulterai mon sixième sens qui me donne quelque instinct pour ce qui regarde votre altesse royale, et je lui dirai pour lors mon sentiment. Quand on a affaire à des fous, des fripons, des ennemis personnels et des concurrens, la prudence veut qu’on ne prenne aucun engagement avec eux sans de grandes précautions. Le lion qui a une épine au pied se la laisse tirer avec toute douceur ; mais, lorsqu’il a repris ses forces, il n’y a que dans la fable qu’il se souvient du bienfait. » Cette dépêche est du 11 novembre 1717. Le moment était critique ; jamais l’œuvre et la