Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/178

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fortune de Dubois n’avaient couru si grand hasard. Il comprit qu’il fallait tout risquer pour sauver tout ; il offrit sa démission et revint à Paris s’expliquer avec le régent. Une fois sur le terrain des intrigues ennemies, il prit sa revanche des demi-succès remportés contre lui en son absence, et ressaisit le maître qui lui échappait. Il put bientôt écrire à Stanhope : « Milord, M. le duc d’Orléans n’a point changé de sentiment et ne sera ébranlé par aucune proposition contraire. » Dubois rentrait à Londres le 31 décembre, après un mois d’éloignement.

Ce n’était là toutefois qu’un avantage précaire, une paix sans sécurité ; le péril, un instant conjuré, renaissait sous une forme plus redoutable. Albéroni, usant d’une habileté souvent employée en France par la diplomatie étrangère, et qui lui réussit toujours parce qu’elle a, pour complices nos passions et notre sottise, excita dans Paris, par ses émissaires, par tous les moyens de presse et de publicité alors connus, un soulèvement de l’opinion contre Dubois et sa politique : le parti déjà formé, qui n’attendait qu’un mot d’ordre, se déchaîna en paroles avant de passer à l’action, et enflamma l’esprit public de ses récriminations et de ses colères. Ce bruit, dont l’écho portait jusqu’à Londres, troublait et irritait l’ambassadeur. « N’est-ce pas une chose monstrueuse que cette fureur contre l’affaire qui se traite actuellement ? Je suis dans le dernier étonnement quand je vois qu’on fait des assemblées sur une négociation comme sur la constitution Unigenitus, qu’on lit des mémoires dans les maisons, qu’on en publie dans les rues, et qu’on commet un intérêt de cette importance au caquet de tout le monde. En vérité, son altesse royale est trop trahie ; tout ce que je lui écris dans mes dépêches transpire au point que tout ce qui peut être nuisible à ses affaires roule dans Paris et puis voyage jusqu’à Madrid… Je ne puis assez déplorer le malheur de monseigneur, qui pleurera des larmes de sang, s’il perd cette occasion, qui est la seule qui pouvait le rendre indépendant et sauver le royaume. » L’histoire de la vénalité de Dubois, recueillie plus tard par Saint-Simon, qui n’y croyait pas en 1718, puisqu’il soutenait la même politique, est de ce temps-là probablement, et vient d’une source espagnole ; quelques lettres écrites de Paris à Dubois nous semblent y faire allusion. « Vous seriez surpris, monsieur, combien on crie ici contre la négociation ; je vous plains toutes les fois que j’entends les choses étonnantes qu’on en dit. Prenez bien garde aux engagemens que vous prendrez ; rien ne saurait être pour vous d’une aussi grande conséquence. » C’est dans cet état violent, dans la fermentation et la rumeur de l’Europe politique, que s’écoulèrent les onze mois de l’ambassade de Dubois.

Un trait de sa correspondance mérite d’être signalé. Elle ne roule pas uniquement sur des matières diplomatiques : les affaires privées