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monde. « Je ne puis pas me résoudre à laisser perdre à M. Pecquet le diamant du roi de la Grande-Bretagne, et je supplie votre altesse royale de le forcer à l’accepter. C’est un beau diamant que le désintéressement et la vertu dont il se pique, mais le petit diamant que le roi d’Angleterre lui fait envoyer est si joli qu’il faut que M. Pecquet ou moi l’ayons, et je le conjure donc de ne pas se faire tirer l’oreille pour le recevoir. J’ai donné une telle opinion de lui que pour le corrompre, on n’oserait pas lui offrir 1 million. » Il terminait sa dépêche par une profession de désintéressement personnel qui sans doute ne lui semblait pas inutile après de telles confidences. « En même temps que je me flatte que les libertés d’un ancien domestique ne seront pas désagréables à votre altesse royale, je la supplie de trouver bon, si le roi de la Grande-Bretagne veut me faire un présent, si grand ou si petit qu’il puisse être, que je ne l’accepte point, et de me laisser le soin de prendre des prétextes si respectueux et si polis pour refuser qu’il ne puisse pas en être offensé. ».

Pendant que l’abbé traversait la Manche, l’amiral Byng, père de celui qui perdit Mahon en 1756, battait la flotte espagnole le 11 août près de Messine, et consolidait par un grand succès militaire le traité récemment signé. Nous retrouvons la main et la pensée du diplomate français jusque dans le désastre qui anéantit la marine renaissante de l’Espagne. Il s’était montré l’un des plus ardens à réclamer l’envoi d’une flotte anglaise, à presser l’amiral de brusquer les choses et de « finir tout » par un coup heureux. « Si le chevalier Byng, écrivait-il au régent le 2 août, avait quelque occasion prématurée dont il profitât et qui eût du succès, il y a des circonstances où votre altesse royale ne pourrait s’empêcher d’en paraître fâchée ; mais il n’y en a aucune où elle ne dût être ravie dans le cœur que les forces maritimes de l’Espagne fussent ruinées, et j’avoue à votre altesse royale que j’agirai ici secrètement dans cette vue, à moins qu’elle ne me donne des ordres contraires. » Arrivé à Paris le 16 août, dix jours avant les changemens politiques, depuis longtemps médités, qui relevèrent au pouvoir, la nouvelle du combat de Messine, coïncidant avec la défaite de ses ennemis à l’intérieur, le transporta de joie ; il dicta au régent pour le roi d’Angleterre une lettre dont le brouillon est entièrement de sa main. « Monseigneur, en apprenant par la relation de l’amiral Byng la confirmation de la victoire remportée par la flotte de votre majesté, ma joie serait imparfaite, si mon intérêt seul y avait part, et si je n’étais plus sensible encore à la gloire de ses armes et à tout ce qui doit la faire respecter. Les bonnes intentions de votre majesté pour le repos public méritent que le ciel favorise les soins qu’elle prend