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coupe réglée pour l’élevage des anguilles, dont il se fait un commerce considérable. Nous voyons au XVIIe siècle le cardinal Palotta améliorer l’exploitation par un nouvel aménagement des eaux, et à la fin du XVIIIe Spallanzani apprendre du fermier-général que le rendement de la lagune est de (500 tonnes de poisson par an.

Si l’industrie de l’anguille se perd dans le passé, celle de la truite et du saumon est probablement tout aussi ancienne, quoique moins connue. Forcément réduite aux petits cours d’eau, cette pisciculture ne put avoir nulle part la même importance qu’à Comacchio ; mais on la vit pratiquée sur plusieurs points à la fois. Il a été fait dans le temps beaucoup de bruit autour des noms d’un pêcheur et d’un aubergiste d’une commune de l’arrondissement de Remiremont, La Bresse, située au fond des Vosges. Il s’est trouvé que MM. Rémy et Génin appliquaient depuis longtemps pour leur compte les procédés de la fécondation artificielle des poissons, quand M. de Quatrefages soumit à l’Académie une étude scientifique sur le même sujet. Celle-ci devint aussitôt le point de départ de réclamations extrêmement vives en faveur des deux pêcheurs vosgiens. Nous avons en nous un penchant très louable, mais souvent injuste, à nous faire redresseurs des torts de la renommée ; nous sommes enclins par nature à relever les humbles dans l’histoire des inventions et des découvertes scientifiques ; nous taillons volontiers la part plus grande à l’artisan qui exécute qu’au patron qui conçoit, à l’aide qu’au professeur, au pêcheur qu’au naturaliste. Peu s’en fallut que la presse et le public ne fissent de Rémy et de Génin deux hommes de génie qui avaient appris au monde la fécondation artificielle, le transport du frai, les soins que réclame l’alevin, en un mot toutes les opérations fondamentales de l’industrie piscicole. Le gouvernement ne fit que son devoir en assurant une honorable aisance à la vieillesse des deux Bressans ; ils avaient montré ce que pouvait, même au fond d’une campagne, la persévérance dans l’application de procédés qu’ils avaient peut-être découverts, ou dont ils avaient entendu vaguement parler, car, s’il faut rendre justice à leur initiative, il semble assez probable qu’ils ont dû connaître par ouï-dire quelque chose de ces pratiques, en usage avant eux dans les départemens voisins. Dans l’Auvergne, certains pêcheurs en savaient tout aussi long. En Allemagne, le forestier Franke, au service du prince de Schauenbourg-Lippe, appliquait aussi les mêmes moyens, et ils étaient loin d’être nouveaux, puisqu’on prétend qu’un moine de l’abbaye de Réome, dom Pinchon, les a exactement décrits au XIIIe siècle. En tout cas, on ne s’en était pas tenu aux essais pratiques : s’il fallait assigner une date à la pisciculture scientifique, elle remonterait au dernier siècle. Dès 1763, un savant allemand,