Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/208

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à sa sphère vraiment pratique, ne perd rien en importance : c’est aujourd’hui une véritable industrie, tombée dans le domaine public. Ce résultat, bien éloigné peut-être des utopies rêvées, est, à tout prendre, fort sérieux. On le doit à l’établissement d’Huningue, à ces élevages installés publiquement de tous côtés, qui n’ont point fait pulluler le poisson dans nos fleuves battus par la vapeur, infectés par les égouts et les manufactures, mais qui ont répandu partout la notion d’une source de gain que plus d’un sans bruit met à profit. Quant à l’état, il avait rempli, dans une mesure qu’on ne saurait blâmer de bonne foi, sa fonction, qui est de tenter au début l’entreprise incertaine des industries nouvelles, même de luxe, qui peuvent augmenter la fortune publique. Quand les rois de France firent venir à grands frais des moutons mérinos d’Espagne, ce n’était pas assurément par amour de leur peuple qu’ils voulaient habiller avec économie, et cependant ce fut un grand bienfait. Quand le comité d’instruction publique de la convention ordonnait de planter en ananas tout le jardin de Tivoli, il n’avait point l’intention sans doute de faire du fruit savoureux un régal populaire, et cette initiative coûteuse n’en était pas moins louable. Plus d’un propriétaire élève maintenant des truites et se débarrasse sur les marchés du superflu de ses viviers ; d’autres ont appris à parquer certaines espèces de poissons ; enfin, et ce seul fait suffirait à justifier la pisciculture de toutes les attaques, les habitans de l’Australie ont acclimaté dans leurs rivières le saumon des fleuves de l’Europe.

La fortune des armes a enlevé à la France l’établissement d’Huningue. Il est loué aujourd’hui par le gouvernement impérial à une compagnie qui en continue l’exploitation pour son compte. Huningue reste ce qu’il était, un vaste entrepôt où arrive le frai des eaux de l’Europe centrale, et d’où on l’expédie dans toutes les directions, vendu, — non plus donné, — à qui en demande. Peut-être il est de ces œufs, achetés de seconde main, qui sont revenus l’hiver dernier à ce laboratoire du Collège de France où avaient été tentés les premiers essais et les premières recherches qui conduisirent à l’idée de créer un pareil établissement. La science, comme la politique, a de durs retours.


III

Sans prétendre à repeupler l’océan, on pouvait concevoir dans l’industrie de nos pêches côtières d’utiles améliorations. Tout le poisson qui alimente les marchés d’Europe n’est qu’une minime fraction de ces innombrables populations qui s’entre-dévorent au fond des eaux : l’idée ne serait venue certes à personne d’agir