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jusqu’à présent rebelle à cette industrie, qui prospère si bien chez nous. Il y a six mois, un ingénieur anglais visitait encore nos huîtrières avec un attirail de tubes dans lesquels il recueillait précieusement, pour les étudier, des échantillons du fond et des eaux légèrement troubles où se plaisent les huîtres, afin de rechercher les conditions analogues sur la côte d’Angleterre. Nos voisins ont déjà dépensé en essais infructueux 60,000 livres sterling, soit près de 1 million 1/2 ; ils ne sont pas rebutés. Le succès nous a coûté moins que cela.

Faut-il maintenant répondre à une prétendue critique qu’on entend parfois, et qui n’est qu’un sophisme d’ignorance ? On semble s’étonner que le prix de ce mets recherché ne cesse d’augmenter, et on croit avoir trouvé là un argument contre l’ostréiculture. D’abord on oublie que, la plupart des bancs naturels étant à peu près épuisés, les marchés sont en grande partie alimentés par les huîtrières artificielles, sans lesquelles le prix serait encore beaucoup plus élevé ; mais ce n’est pas tout. Pour peu qu’on réfléchisse, il est facile de se rendre compte que non-seulement le prix ne saurait diminuer, mais qu’il ne cessera de s’accroître, quand bien même nos côtes seraient bordées d’un cordon d’exploitation ininterrompu. Or il n’en sera jamais ainsi ; certaines régions du littoral, comme la côte anglaise, ne se prêtent point à cette industrie. Supposons, pour mettre les choses au mieux, que tous les rivages propices sans exception soient couverts d’huîtres ; ce ne sera jamais qu’une bande de terrain fort restreinte par la limite même des marées. Que l’on se figure d’autre part la consommation croissant en Europe à mesure que s’allongent les lignes de fer. Il est loin, le temps où le voyageur partant de Paris pour Marseille y portait comme objet rare et précieux une bourriche d’huîtres. On voit aujourd’hui des écaillères, dans les villes du midi. La Méditerranée ne produit plus d’huîtres en quantité suffisante pour en faire la pêche réglée, et cependant on en mange à Nice, à Alger, dans toute l’Italie. Les côtes de France en expédient jusqu’à Rome, Saint-Pétersbourg, Moscou. En même temps que les voies ferrées vont plus loin, un nouveau réseau en double le parcours sur le sol même de la France. Les huîtres arrivent fraîches au fond des départemens. L’aire géographique de la consommation augmente sans cesse, celle de la production est fatalement limitée. En un mot, la demande surpasse l’offre, d’où la concurrence des acheteurs en gros dans les ventes, d’où une nouvelle cause d’élévation des prix ; mais ce n’est ni le producteur ni l’état qui s’en plaignent. Loin d’être un argument contre les essais tentés, cette cherté croissante des huîtres est un encouragement pour les particuliers, qui font leur fortune en