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Il faut en finir avec cette affaire de Metz, autour de laquelle tourbillonnent depuis trop longtemps toutes les préventions et toutes les susceptibilités de l’opinion.

Que le maréchal Bazaine reste après tout un vigoureux soldat, ce n’est point là ce qui est en doute. Pour la direction de la campagne, il faut le remarquer en toute justice, le maréchal ne prenait le commandement que le 13 août, lorsque tout était déjà compromis, et à ce moment décisif il n’était même pas maître de ses actions. Ainsi, pour ne citer qu’un fait, le maréchal assure avoir eu la pensée de se jeter sur l’armée prussienne marchant de la frontière sur Pont-à-Mousson, d’essayer de la couper, pour gagner Frouard, où il aurait occupé de fortes positions qu’il avait signalées depuis deux ans, dit-il, à l’attention du ministre de la guerre. Pourquoi ne réalisa-t-il pas cette pensée ? Ah ! c’est que dans cette étrange guerre tout le monde faisait de la stratégie, même la malheureuse impératrice. C’est une dépêche toute stratégique, adressée de Paris par l’impératrice, appuyée de toutes les instances de l’empereur, qui arrêtait le maréchal, qui le déterminait à repasser la Moselle pour aller se jeter sur la ligne de Verdun, au risque d’avoir à livrer bataille dans sa retraite, de perdre un jour qui profitait à l’ennemi, et de trouver devant lui l’armée allemande qui le gagnait de vitesse sur la ligne ou il s’engageait. Ainsi allaient les choses ! Une fois le premier moment passé, le maréchal livre les furieuses batailles qu’on sait, il reste à demi victorieux, et il n’est pas moins arrêté avec 160,000 hommes dignes de la France par leur valeur, il est cloué autour de Metz sans pouvoir désormais se frayer un passage. Aurait-il pu mieux faire ? C’est possible.

Jusque-là cependant c’est une question militaire à débattre entre militaires. Le maréchal a hérité d’une situation compromise qu’il n’a pas pu ou qu’il n’a pas su relever, voilà la vérité ; mais c’est ici que cette malheureuse affaire de Metz devient singulièrement obscure, et que commence pour le maréchal Bazaine une responsabilité que ses récits mêmes accusent et précisent au lieu de l’affaiblir. Évidemment le commandant de l’armée du Rhin enfermé dans son camp retranché comme dans une vaste prison pendant que s’accomplissent au dehors les plus terribles événemens, le commandant de l’armée du Rhin se trouve soumis à une épreuve trop forte pour lui. Davout, enfermé à Hambourg en 1814, refusait absolument de recevoir les nouvelles que lui faisait passer l’ennemi ; il ne voulait rien écouter, il attendait des ordres réguliers du gouvernement constitué à Paris, et il conservait une armée intacte à la France. Ici, par un étrange renversement de rôle, c’est le chef des forces françaises investies dans Metz qui demande à l’ennemi ce qui se passe en France, et le prince Frédéric-Charles lui répond avec componction qu’après la capitulation de Sedan est survenue, « hélas ! à Paris,