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tous nos hommes de guerre, Charlemagne, Turenne, Condé, Desaix, Napoléon lui-même, « plus grand que César et Pompée, » le poète montre tout ce qui a été la patrie vivante et glorieuse rendant l’épée de la France par la main de celui qui fut Napoléon III et que l’auteur appelle d’un autre nom. C’est une de ces images comme M. Hugo en a trouvé quelquefois. Pour tout le reste, il faut le dire, c’est de la poésie de décadence, un mélange de rêves humanitaires, d’effusions d’orgueil personnel, d’antithèses violentes, de puérilités titaniques et même de facéties assez lugubres.

Quel rapport y a-t-il entre ces tragédies sanglantes et la poésie qui a la prétention de les consacrer, entre les émotions de la lutte, les douleurs du siège, les tressaillemens de la patrie en ruines et en feu, et ces vers où ne palpite aucune émotion spontanée et sincère ? C’était le cri de l’âme émue de tant de sentimens généreux ou de tant de terreurs qu’il fallait reproduire pour que la guerre eût sa poésie. L’Année terrible n’est qu’un entassement laborieux et froid. Quand M. Victor Hugo parle du premier siège, c’est pour lancer des objurgations assez médiocres aux rois teutons, à M. Gladstone, à M. Bancroft, au général Grant, à un évêque qui l’a appelé athée, — chose importante à relever dans un pareil moment. Quand il parle de la commune et de l’incendie des bibliothèques, c’est pour aboutir à une antithèse qui ressemble à une excuse pour les incendiaires. Quand il parle des mésaventures qu’il a essuyées en Belgique pour l’hospitalité qu’il a voulu offrir aux évadés de la commune de Paris, l’affaire n’est franchement ni aussi tragique, mi aussi épique qu’il le croit. Lorsqu’enfin pour venger son képi de garde national contre le général Trochu, qui en a plaisanté, M. Hugo conjugue en vers le verbe tropchoir, dont le nom de l’ancien gouverneur de Paris serait le participe passé, ce n’est là peut-être ni de la poésie, ni même de l’esprit. C’est de l’esprit de M. Hugo ! Il y a pourtant dans ce livre un mot étrange, c’est le dernier. L’auteur décrit le flot montant qui bat incessamment le vieux monde. On lui dit : « Arrête ! » il monte toujours, il envahit tout, et aux conjurations par lesquelles on cherche à l’arrêter, le flot majestueux répond : « Tu me crois la marée, et je suis le déluge ! » C’est bien possible, l’auteur de l’Année terrible aura été entraîné dans le déluge démagogique, et il nous convie à le suivre dans son naufrage. Peut-être hésitera-t-on à l’accompagner. Le monde devient sérieux, et n’est plus trop disposé à se laisser charmer par le poète qui, après avoir chanté toutes les causes, finit par toutes les complaisances pour les derniers excès de l’ivresse révolutionnaire.

Que se passe-t-il donc en Espagne ? Depuis quelques jours, ce malheureux pays semble engagé dans une aventure nouvelle dont l’issue n’est point assurément indifférente pour la France. Au lendemain même des élections, au moment où les cortès allaient s’ouvrir, une insurrection