Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/244

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans les affaires de la nation. On a trop facilement regardé la fiiite de Marie Stuart comme une des imprudences de cette princesse aventureuse ; elle savait sans doute ce qu’elle faisait quand elle mit le pied sur le sol d’Angleterre. Ce qui la perdit, c’est la lutte engagée avec une sorte de courage aveugle pour une cause dont les chefs étaient au-dessus d’elle et loin d’elle, la cause du catholicisme. Le signal de sa perte vint du continent.

Elisabeth la défendit dans une certaine mesure ; elle la soutint moyennant conditions jusqu’au moment où les événemens de France et d’Espagne mirent son propre trône en péril. Le coup d’état sanglant de la Saint-Barthélémy et l’alliance défensive et offensive des états catholiques renversèrent l’équilibre qui s’était établi entre les parties intéressées dans le procès pendant de Marie Stuart. Les Écossais relâchèrent quelque chose de leur jalousie nationale ; Elisabeth parut moins exigeante pour la majesté royale, que jusque-là elle n’avait pas voulu sacrifier dans la personne de Marie ; l’orgueil de la fille des Tudors se montra plus coulant pour des rebelles. Une ligue protestante fut signée entre l’Angleterre et l’Ecosse, premier pas vers l’union des deux nationalités. A partir de ce jour, non-seulement Marie n’est plus reine, elle n’est plus même Écossaise, elle appartient à l’histoire d’Angleterre. Du fond de chacune de ses prisons elle lutte désormais contre Elisabeth : comme femme, parce que l’amour-propre naturel du sexe aigrit le débat entre les deux adversaires ; comme reine, parce que Marie ne voulut jamais renoncer aux droits qu’elle prétendait avoir sur le trône d’Angleterre ; comme catholique, parce que cette princesse se dévoua jusqu’à la fin aux intérêts de son église. C’est ce dévoûment porté jusqu’au martyre qui a fait la beauté de son rôle dans l’histoire. A partir du même jour, l’Ecosse s’achemina vers la fin de sa nationalité indépendante. L’Angleterre, pays positif et pratique, fit toutes les concessions pour emporter à la fin le contrat auquel elle aspirait depuis des siècles. Elle en fit une fort curieuse dans ce contrat même. L’Ecosse ne voulut signer la ligue protestante qu’en y ajoutant la réserve de ne pas être obligée de rompre de vieilles alliances : c’était un scrupule en faveur de la France, sa plus ancienne et sa plus fidèle amie. Clause singulière assurément et qui mettait à peu près à néant le contrat ; mais les peuples ont de ces inconséquences : les Anglais eurent le bon esprit de n’y pas regarder de trop près. Moyennant cette réserve, dernier soupir de l’alliance française, on peut dire que la fierté écossaise, ayant sauvé les apparences, traversa bravement la Tweed.

Ceci se passait en 1584 ; mais tout n’était pas fini pour la nationalité de ce petit pays, dont la population n’excédait pas alors de beaucoup la population actuelle de Londres. Non-seulement l’union des deux pays se fit par l’accession du roi d’Ecosse Jacques VI au trône d’Angleterre,