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L'INVASION GERMANIQUE
AU CINQUIEME SIECLE
SON CARACTERE ET SES EFFETS

On se représente ordinairement, au début de l’histoire de la France, une grande invasion de Germains. On se figure la Gaule vaincue, conquise, asservie. Cet événement a pris, dans les livres et dans les imaginations, des proportions énormes. Il semble qu’il ait changé la face du pays et donné à ses destinées une direction qu’elles n’auraient pas eue sans lui. Il est, pour beaucoup d’historiens et pour la foule, la source d’où est venu tout l’ancien régime. Les seigneurs féodaux passent pour être les fils des Germains, et les serfs de la glèbe pour être les fils des Gaulois. Une conquête, c’est-à-dire un acte brutal, se place ainsi comme l’origine unique de l’ancienne société française. Tous les grands faits de notre histoire sont expliqués et jugés au nom de cette iniquité première. La féodalité est présentée comme le règne des conquérans, l’affranchissement des communes comme le réveil des vaincus, et la révolution de 1789 comme leur revanche.

Il faut d’abord reconnaître que cette manière d’envisager l’histoire de la France n’est pas très ancienne ; elle ne date guère que de deux siècles. Les anciens chroniqueurs, qui étaient contemporains de ce que nous appelons l’invasion germanique, mentionnent sans nul doute beaucoup de ravages et de dévastations ; mais jamais ils ne parlent d’une conquête, c’est-à-dire d’une race vaincue et d’une population assujettie. Il n’y a rien dans ces vieux documens qui ressemble aux légendes dans lesquelles les Gallois et les Bretons d’Angleterre conservèrent le souvenir de leurs vainqueurs, et pleurèrent leur race asservie. Aucun des écrivains de