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venait de ce que les progrès de la population sous l’empire n’avaient pas été en rapport avec le grand défrichement des forêts et le développement qu’avaient pris les travaux industriels et les occupations de l’intelligence. Il s’était formé des professions nouvelles qui avaient enlevé des bras à l’agriculture au moment même où les défrichemens exigeaient que ces bras fussent plus nombreux. D’ailleurs l’usage des affranchissemens et l’élévation incessante des basses classes avaient peu à peu épuisé cette couche inférieure de la société dont le travail devait féconder la terre. Si l’on ne trouvait moyen d’amener des bras étrangers, la main-d’œuvre était chère, le travail languissant, le propriétaire ruiné, l’impôt foncier impayé. C’est contre cette difficulté que l’empire lutta pendant des siècles, et c’est contre elle qu’à la fin il échoua. L’adjonction de Germains laboureurs était son salut : aussi profitait-il de chaque victoire pour en amener le plus qu’il pouvait, à la grande joie des populations.

Loin que ces Germains entrassent en maîtres dans l’empire, ils y entraient comme colons. Or le colonat, à cette époque, n’était pas autre chose que le servage de la glèbe. Un colon était attaché à un champ pour toute sa vie, il ne pouvait s’en éloigner « même une heure ; » les lois impériales l’appellent servus terrœ. Non-seulement ces Germains ne s’emparaient pas de la terre, c’était au contraire l’empire qui s’emparait de leurs personnes pour les enchaîner à la terre. Le code théodosien mentionne des nations barbares qui avaient été ainsi introduites de force dans l’empire, fixées au sol et assujetties à la dure condition du colonat. Les Germains faisaient effort pour se tirer de cette servitude ; on cite des Francs qui, transplantés comme colons dans l’Asie-Mineure, construisirent des barques et revinrent par mer en Germanie. L’empire redoubla de sévérité, comme on peut le voir en suivant dans les codes la progression des lois relatives au colonat, pour retenir de force ces étrangers. Il y a des coïncidences frappantes. Le colonat ou servage de la glèbe, inconnu dans les premiers siècles de l’empire, fut constitué et se développa à mesure que s’accrut le nombre des Germains amenés par chaque victoire. Peut-être y aurait-il quelque témérité à prétendre que cette introduction forcée des Germains ait été la source unique du servage de la glèbe ; mais on peut affirmer au moins que dans cette classe des serfs, qui commence au IIIe siècle et qui ne finit qu’en 1789, il y a eu beaucoup de sang germanique.

D’autres Germains entrèrent dans l’empire sous de meilleures conditions, à titre de soldats. Ce fait, qui surprend d’abord, est expliqué par une des institutions capitales de l’empire romain. Le trait le plus caractéristique de la politique d’Auguste et ce qu’on