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rien à refuser à ceux qui lui avaient donné la couronne ; ceux-ci étaient perdus, s’ils ne restaient tout-puissans. L’oligarchie des whigs abusa de sa victoire, comme il arrive à tous les vainqueurs : elle acheta le parlement. A l’époque de la révolution, les débats des chambres n’étaient pas encore publiés ; de fait, le vote était secret. Le trafic des voix fut éhonté sous les George. La dynastie hanovrienne, importée d’Allemagne, tenait à peine au sol anglais ; elle laissait faire les whigs. La reine Caroline, plus virile que son mari, avait des momens de révolte. « Pouvez-vous, mylord, dit-elle un jour à Stair, qui voulait s’opposer à un impôt, oser venir me parler de l’opinion des électeurs et du compte qu’en doivent tenir les élus ? Comment avez-vous l’assurance de me dire que vous croyez que l’opinion des constituans, que leurs intérêts, que leurs instructions servent de mesure ou de règle à la conduite de leurs représentans dans le parlement[1] ? » Caroline, élevée dans les idées despotiques du continent, ne respectait dans les libertés anglaises que le prestige, l’auréole qu’elles jetaient sur l’Angleterre. Avec son appui, sir Robert Walpole resta vingt ans ministre, il érigea la corruption en système.

La vague qui avait soulevé les whigs en 1688 ne commençait à baisser que sous le règne de George III ; les excès des whigs les avaient perdus. Depuis la défaite du prétendant, le parti jacobite s’était transformé ; il était devenu simplement le parti monarchique, il avait contracté avec la nouvelle dynastie un mariage de raison. Il avait toujours des racines dans la population des campagnes, il était dès lors un parti national, ne portait plus les regards au dehors. Il soutenait encore la prérogative royale, cependant ses théories politiques n’avaient plus le caractère d’une foi religieuse. Ce parti avait mûri en quelque sorte pour le gouvernement. Le règne des whigs avait duré presque sans interruption pendant soixante-dix ans, depuis la mort de la reine Anne ; il prit fin quand lord North se coalisa avec Fox. En regardant l’histoire seulement par les sommets, on peut dire que les tories conservèrent l’ascendant jusqu’en 1832. Depuis cette époque, les libéraux ont repris l’avantage. Ces grandes oscillations subissent des arrêts ou même des retours momentanés, mais il y a comme de fortes impulsions qui se font sentir à travers plusieurs générations d’hommes. George III tira les tories de leur longue disgrâce ; le jeune souverain, plus Anglais que ses prédécesseurs, se sentait aussi plus roi. Les règnes précédens avaient servi à mettre en pratique le gouvernement parlementaire ; ses règles étaient si bien établies que les batailles pour la prérogative

  1. Mémoires de lord Hervey, ami et confident de la reine.