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ministre est une conquête qu’il a sans cesse à protéger contre les partis ; il n’a pas seulement à vaincre ses ennemis politiques, il doit encore triompher de ses amis, de leurs sourdes divisions, de leurs jalousies. La royauté lui sert en quelque sorte d’armure invisible, elle l’élève à des sommets plus tranquilles. Sans convoitises, elle peut calmer les convoitises, — sans haine, guérir les haines. Il faut la supposer ce qu’elle est aujourd’hui, honnête, sincère, fidèle à la nation ; alors sa seule présence n’a plus seulement le don de réprimer l’ambition, elle l’élève et la purifie.

Tombât-elle pour quelque temps entre des mains indignes, la royauté anglaise n’est plus capable d’opposer des obstacles infranchissables à la souveraineté parlementaire. Les droits positifs dont elle est encore armée, le droit de dissolution, celui de créer de nouvelles pairies, ne peuvent s’exercer qu’avec le concours du cabinet, et les cabinets sortent des chambres, et ne peuvent se passer de leur concours. Dans une crise suprême, le premier ministre peut faire appel au pays, renvoyer une chambre hostile ; mais la liberté électorale est entière, il n’y a point d’administration qui puisse corrompre, épouvanter ou tromper les électeurs ; le pays a toujours le dernier mot. Tout s’incline à la longue devant lui, ministres, pairs, monarchie.

Les partis ne peuvent s’organiser fortement que dans les pays où l’état n’est pas organisé lui-même comme un parti, et le gouvernement parlementaire ne va pas sans l’organisation des partis ; j’entends par là la faculté pour les hommes qui poursuivent le même but politique de se grouper, de se réunir, de fonder des journaux, de propager leurs doctrines dans des réunions publiques, de maintenir une perpétuelle agitation pacifique. Un parti est comme une armée, il a son état-major, ses cadres, son trésor ; l’état n’intervient pas dans la lutte : il ne convertit pas ses fonctionnaires en agens électoraux. Quand il pose des questions au pays, il n’essaie pas d’y répondre d’avance. On cherche en vain l’état hors de Londres : le lord-lieutenant, le shérif, sont des notables plutôt que des fonctionnaires.

Mille gouvernemens locaux, paroisses, corporations, comités, couvrent toute la surface du royaume ; l’aristocratie, la richesse, la terre, le clergé, sont les seules puissances visibles dans les comtés. Tout ce que nous nommons en France l’administration leur appartient. Qu’une lutte électorale s’engage, les deux partis, toujours prêts, mettent en ligne toutes leurs forces ; sous mille formes, en mille lieux, on cherche à exciter, à émouvoir les électeurs. L’état pendant ces grands duels n’a qu’une mission, il maintient l’ordre. La diffamation contre les hommes publics, les ministres, n’a d’autre