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pas manqué à nos administrations pour s’enquérir de la situation des classes laborieuses et des moyens de la rendre meilleure. Il ne paraît pas cependant que ces recherches aient eu beaucoup de résultats pratiques, ni même qu’elles aient éclairé l’opinion sur ces matières. Chez nous, on ne lit guère les documens officiels, qui ont une forme d’un autre âge : notre génération a perdu l’habitude de manier les in-folio, elle s’effraie à l’aspect des publications encombrantes où se complaît encore l’administration française. Aussi importe-t-il de résumer toutes les notions précieuses qui sont ensevelies dans les récentes enquêtes et qui, si on ne les tirait de ces nécropoles, pourraient rester à peu près inconnues.


I

On n’apprend rien à personne en disant que la situation de la plus grande partie des ouvrières de la petite industrie est excessivement précaire. D’un autre côté, les événemens de l’année 1871 ont prouvé que les idées révolutionnaires faisaient des progrès énormes chez les femmes des classes laborieuses. Le communisme trouve en elles des légions d’adeptes convaincues et dévouées jusqu’à la mort. Dans les grandes villes, à Paris et à Lyon notamment, les ouvrières industrielles s’enrôlent de plus en plus sous la bannière du socialisme ; elles y apportent cette ardeur, cette foi, cette persévérance, que les femmes mettent toujours au service des causes qui les entraînent. La grève des ovalistes ou moulinières de Lyon en 1869 et leur affiliation en masse à l’Internationale paraissaient naguère une excentricité sans conséquence. Depuis lors, des coalitions ont eu lieu parmi les ouvrières de divers corps d’état ; dans les réunions publiques sous l’empire, le personnel féminin tenait une place importante ; le fanatisme des femmes de Paris n’a pas été sans influence sur la conduite et la durée de l’insurrection du 18 mars. Cette situation est assurément déplorable au point de vue moral et périlleuse au point de vue politique ; peut-elle être améliorée ? Il y a sans doute bien des causes qui expliquent la fascination qu’exerce aujourd’hui le socialisme sur les ouvrières de la petite industrie : l’affaiblissement des croyances religieuses n’en est pas une des moindres ; mais les souffrances matérielles et l’ignorance presque absolue des ouvrières y ont aussi leur part. Tout observateur attentif et impartial doit reconnaître que les pouvoirs publics et les institutions philanthropiques ont beaucoup trop négligé jusqu’ici l’éducation de la femme pauvre.

C’est à Paris surtout qu’il faut étudier la petite industrie : nulle part, elle n’a pris autant de développement, et n’a obtenu autant de succès. En dépit de toutes nos déceptions et de toutes nos