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aiguille ; rien n’est plus variable. Il faut d’abord signaler une élite d’ouvrières dont le mérite consiste plutôt dans le goût et l’invention que dans le travail des doigts ; elles rendent chez les modistes et les tailleurs pour femmes des services exceptionnels, qui leur valent des salaires de 5 à 10 francs par jour. C’est là une minorité qui ne représente pas 1 pour 100 du nombre des femmes occupées à Paris par la couture. D’après l’enquête de 1864, sur 3,970 femmes travaillant chez les couturières, 288 gagnaient 3 francs par jour, et 168 plus de 3 francs ; toutes les autres, c’est-à-dire à peu près les neuf dixièmes, obtenaient moins de 3 francs. La lingerie occupait 5,106 femmes, dont 282 gagnaient 3 francs et plus. Les modistes sont les mieux rétribuées : parmi 2,743 modistes recensées, 200 gagnaient 3 francs, et 295 plus de 3 francs. On voit combien les rémunérations élevées sont rares parmi les ouvrières parisiennes, surtout si l’on tient compte de la morte saison, qui est deux fois plus longue pour les métiers que nous venons de citer que pour les autres corps d’état. Il faudrait tenir compte aussi de toutes ces ouvrières mobiles qui, sans être attachées à un établissement déterminé, sans fournir même un travail constant, cherchent de l’ouvrage dans les momens de détresse, et ne s’en procurent qu’avec une extrême difficulté, pour un salaire dérisoire. La couture est le dernier refuge de la femme sans appui et sans ressources ; toutes les infortunées s’attachent avec acharnement à cette planche de salut qui peut à peine les soutenir. Pour réussir comme ouvrière, surtout quand on n’a pas une habileté de premier ordre, ce qu’il faut avant tout, ce sont des relations, c’est de l’expérience et de l’esprit de conduite. Il faut encore entrer jeune dans le métier ; il est rare que des veuves, jusqu’alors oisives, parviennent à se tirer d’affaire. Aussi parmi les métiers qui fournissent le plus de pétitionnaires à l’assistance publique, on a rangé en première ligne les travaux d’aiguille, non pas que ces travaux ne puissent faire vivre les femmes qui y cherchent régulièrement leur subsistance, mais parce que la couture devient le métier de toutes les déclassées qui n’en ont pas d’autre. Si l’on met de côté cette légion trop nombreuse d’ouvrières irrégulières, cet arrière-ban incapable de longues fatigues et d’utiles travaux, l’on voit que la grande masse des femmes employées dans les ouvrages d’aiguille reçoivent un salaire qui, sans être élevé, suffit cependant à leurs besoins. Dans les nouveautés confectionnées par exemple, les deux tiers des ouvrières gagnent 2 francs 25 cent, au plus, un tiers à peine gagne moins de 2 francs, et un sixième atteint à des salaires de 3 francs ou davantage ; c’est, paraît-il, une des industries les mieux rétribuées de Paris. Les cinq huitièmes des femmes qui travaillent pour les fripiers et pour le marché du Temple gagneraient 2 francs 50 cent, ou plus. Les documens postérieurs