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un état. On ne manque pas dans les conventions internationales de proclamer qu’elles sont à perpétuité ; mais c’est pure courtoisie, et le fait est qu’elles sont provisoires. Il y a un déplorable sous-entendu à l’aide duquel on se réserve de s’y soustraire, du moment qu’on supposera y avoir un grand intérêt, et qu’on sera ou s’imaginera être investi d’une force suffisante pour repousser les réclamations de l’autre partie contractante. Si celle-ci conteste, la force prononcera.

En d’autres termes, quoique l’intervention de la force brutale dans les contestations privées soit interdite au sein de chaque état civilisé, et même y soit traitée et punie comme un délit ou un crime, il en est tout différemment quand elle apparaît dans les relations d’état à état. Elle s’appelle alors la guerre. Sous cette dénomination, l’emploi de la force est reconnu par le droit international, et quoiqu’il comporte alors une masse d’horreurs et d’atrocités près de laquelle les actes qui seraient les plus épouvantables dans la vie privée ne sont que des détails infimes, dès qu’il est paré de ce titre nouveau, il devient honorable et glorieux au gré de l’opinion généralement admise. En tout cas, il n’existe pas de tribunal où puisse être déférée l’interposition de la force dans les affaires internationales, sous quelque forme violente qu’elle se produise, de quelques attentats contre la vie et la propriété qu’elle se rende coupable. Il n’existe de recours que dans le jugement de l’histoire. Certes c’est une juridiction respectable, car le temps finit par la rendre impartiale ; mais ses arrêts définitifs sont bien tardifs. Ils sont quelquefois séparés des événemens par des siècles, et ils ne relèvent ni les villes détruites ni les empires abaissés ; ils ne sèchent pas les larmes des mères, ils ne ressuscitent pas les myriades, les cent milliers, les millions de victimes.

Il est même trop vrai, quoique ce soit triste à dire, le plus souvent au jugement de l’histoire, de celle qui a cours chez la nation victorieuse, le succès efface les violations du droit, convertit en hauts faits les atteintes flagrantes à la morale, et revêt des plus brillantes couleurs l’oppression et la mauvaise, foi. On élève des statues au vainqueur parce qu’il est vainqueur. Les poètes le portent aux nues. S’il s’est emparé d’une province, même en foulant aux pieds les droits les plus sacrés des populations, il est célébré comme ayant ajouté à la grandeur et à l’éclat de son pays, ainsi qu’à sa prospérité. On lui décerne le surnom de grand aux applaudissemens enthousiastes du populaire. Dans les temples mêmes du Dieu de paix, on exalte ses trophées sanglans et on ose représenter la divine, Providence comme la complice de ces entreprises contraires à la justice et de ces affreuses scènes de carnage, te Deum laudamus.

Restent, il est vrai, les historiens des peuples étrangers, qui,