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s’irrite quand on parle de ses emportemens belliqueux et de ses ardeurs conquérantes ; elle n’a, dit-elle, étendu sa frontière que pour protéger son repos ; les chefs l’affirment, la nation le croit. Il n’est pas moins vrai que depuis six ans ce peuple pacifique a entrepris trois guerres, et que l’Europe est en armes. C’est ainsi qu’au bout d’un demi-siècle le même problème se pose devant nous. Il ne nous appartient pas d’en préjuger la solution ; il nous suffit d’en tirer l’enseignement qu’il renferme. Il est clair et frappant. Le premier empire, avec sa politique à outrance et ses étonnantes victoires, nous a conduits au même résultat que le second empire avec ses contradictions diplomatiques et ses désastres militaires. L’un et l’autre ont fini par la défaite et l’invasion.


I

L’invasion de la France en 1792 fut, de la part de la Prusse, l’acte d’agression le plus injuste et le moins excusable. Des états allemands avaient permis aux émigrés de se rassembler en armes sur leur territoire. C’était le droit et le devoir du roi Louis XVI d’exiger la dispersion de ces rassemblemens. Les princes allemands possessionnés en Alsace demandaient au gouvernement français de rétablir les droits féodaux en cette province ; le gouvernement français refusait : il avait le droit de régler à sa guise sa constitution intérieure. Il offrait une indemnité en argent ; les princes n’en voulurent pas, et la guerre s’ensuivit avec l’empire. La Prusse n’y était engagée que très indirectement. Elle conclut un traité spécial d’alliance avec l’Autriche, promit 20,000 hommes, en donna 60,000, et envahit la Champagne. La Prusse à cette époque n’aimait point les révolutions, et n’admettait pas qu’une nation réglât ses propres affaires sans prendre au préalable l’avis de ses voisins. Les ministres prussiens avaient du reste prévu tous les cas. Dès l’année 1791, à Pillnitz, ils prenaient position et posaient leurs jalons. M. de Sybel, pour qui les chancelleries d’Europe n’ont point eu d’armoires secrètes, a trouvé quelque part une dépêche qui vaut son pesant d’or. Supposant qu’ils ne parviendraient peut-être pas à rétablir complètement le gouvernement de Louis XVI, « que ferions-nous alors, demandaient les hommes d’état de Berlin, si nos armes avaient conquis l’Alsace et la Lorraine ? Quel motif aurions-nous de les restituer ? Et si nous ne les rendions pas, qui de nous devrait les posséder ? L’Autriche les conserverait-elle ? Mais alors quelle acquisition équivalente à celle-ci nous serait accordée ? Ces questions pourraient occasionner la rupture complète de l’alliance ; il