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infirmités n’ont pas été mortelles. Nous ne saurions trop le redire, rien ne rassure et ne soutient, rien n’excite au courage et ne préserve de la faiblesse comme le spectacle fidèlement reproduit des quinze siècles de notre vie nationale. Quand on voit que nous sommes sortis de ce brutal régime, plus rude que la barbarie même, de cette prison de fer, la féodalité ; que plus tard, après cent ans de ruines et de misères, d’incendies, de rapines et de dévastations, nous sommes encore sortis de cet autre fléau, l’occupation anglaise ; que tour à tour nous avons échappé aux fureurs de la ligue, aux folies de la fronde aussi bien qu’aux saccages de ces jacqueries diverses qui çà et là, par intervalles, ont comme préludé aux attentats dont les traces fumantes sont encore sous nos yeux ; quand on nous voit survivre à tant de maladies, à tant de fièvres intestines, à tant de coups mortels, comment désespérer, comment faiblir et de quoi s’étonner ? Si violentes que soient les convoitises qui sourdement nous menacent, si rare que soit le vrai courage, si nombreuses que soient les défaillances, nous ne tomberons pas dans l’abîme, nous franchirons ce mauvais pas comme nos pères en ont franchi tant d’autres. La civilisation n’a pas fait sur ce globe un chemin encore assez long, ses conquêtes ne sont pas assez incontestées, sa tâche est trop incomplète pour que la France ait achevé la sienne. Tant qu’il reste un exemple à donner, une initiative à prendre, une épreuve à tenter, un hasard à courir, il faut que la France soit là. Elle est, et pour longtemps encore, l’avant-garde nécessaire de tout progrès de notre race. Ne parlez, pas de décadence, ce mot sinistre, ce glas funèbre ne sonne pas pour elle. Elle peut se laisser choir même aux pièges les plus grossiers, elle peut tomber, passer pour morte : en un clin d’œil, elle est debout, elle s’est relevée plus forte et plus vivante.

Ne nous effrayons donc pas du brouillard qui nous cache aujourd’hui l’avenir : l’horizon nous échappe, et nous voyons à peine à deux pas devant nous, c’est vrai ; mais quelle vitalité même dans ces ténèbres ! quelle soif de travail, quel instinct de conservation ! A ne parler que de la vie physique, je défie qu’on découvre chez nous le moindre signe de décadence. Est-ce assez pour nous rassurer, pour consoler notre patriotisme, pour nous promettre un avenir ? La vie morale, la véritable vie, la vraie force d’une nation, la sentons-nous renaître et prendre en nous une sève nouvelle ? Nos malheurs nous ont-ils dotés de ce consolant bienfait ? Avons-nous répudié les molles habitudes, les somptueuses fantaisies qui nous tenaient comme enlacés pendant nos vingt ans de sommeil ? S’est-il rompu un seul anneau de cette énervante chaîne ? Rien n’autorise, hélas ! à oser l’affirmer ; mais rien ne permet non plus d’ajouter foi au sombre pessimisme qui nous condamne à mort, qui se complaît à proclamer que déjà la gangrène nous gagne, que nous sommes en décomposition. C’est s’attacher à l’apparence ; c’est supposer à la surface une profondeur qu’elle n’a pas ; c’est ne pas voir à côté de