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agit en allié, c’est-à-dire qu’il traversa les principautés franconiennes du roi de Prusse sans en prévenir ce prince. L’irritation fut grande à Berlin. Le parti de la guerre se récria ; on avait interdit le passage à Alexandre, pouvait-on le permettre à Napoléon ?

Il y eut un revirement : Duroc et Laforest, que l’on entourait la veille, furent mis en interdit. L’armée fut portée de la Vistule à la frontière du sud. On décida que le passage serait accordé aux Russes en représailles de la violation d’Anspach, et que l’on se saisirait du Hanovre pour prévenir, de ce côté, de nouvelles violations. Sur ces entrefaites, l’empereur Alexandre arrivait à Berlin ; il était dans tout l’éclat de sa première passion pour la gloire. La cour fut séduite, Hardenberg se prononça contre la France, l’entraînement devint général. Les alliés laissaient entrevoir au roi qu’ils lui abandonneraient le Hanovre, s’il leur apportait un appui décisif. L’Angleterre cependant fit quelques restrictions quant au patrimoine de son souverain, mais elle ne se montra pas moins généreuse du bien d’autrui : elle offrit la Hollande. Il fallait se hâter ; la campagne avait commencé, et les nouvelles de la guerre portaient au plus haut degré la surexcitation des états-majors. Une armée autrichienne était enveloppée dans Ulm. Napoléon menaçait de la passer au fil de l’épée, si elle ne se rendait point : Mack capitula. Le roi de Prusse finit par céder aux obsessions dont il était l’objet ; mais il ne prit encore qu’un parti moyen. Il se décida pour un projet de médiation entre les belligérans : la frontière de l’Autriche serait reportée de l’Adige au Mincio, le roi de Sardaigne recevrait une indemnité pour la réunion du Piémont à la France, l’indépendance de la Suisse, de Naples et de la Hollande serait garantie. M. de Haugwitz reçut l’ordre de porter ces propositions au quartier-général français, et un mois après qu’elles auraient été remises, s’il n’y était point fait droit, la Prusse entrerait en campagne. Ce fut l’objet d’un traité signé à Potsdam le 3 novembre entre le roi Frédéric-Guillaume et l’empereur Alexandre. Les deux souverains s’embrassèrent sur le tombeau du grand Frédéric et se jurèrent une éternelle amitié.

Haugwitz arriva au quartier-général français le 1er décembre. L’empereur le reçut fort bien ; « il lui dit qu’il allait se battre le lendemain, qu’il le reverrait après, s’il n’était pas emporté par un boulet de canon, et qu’alors il serait temps de s’entendre avec le cabinet de Berlin. » Il l’invita ensuite à se rendre à Vienne, où il trouverait M. de Talleyrand, et le fit conduire « à travers le champ de bataille d’Hollabrunn, qui présentait un spectacle horrible. — Il est bon, écrivait-il à M. de Talleyrand, que ce Prussien apprenne par ses yeux de quelle manière nous faisons la guerre. »