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cabinet de Saint-Pétersbourg n’était donc pas tenté d’intervenir. Il n’allait pas jusqu’à souhaiter le démembrement de la France, il avait même dit à plusieurs reprises qu’il tâcherait d’en dissuader l’Allemagne. Il lui suffisait que notre pays fût assez faible pour être forcé de rompre avec la politique anglaise ; encore fallait-il le laisser souffrir assez longtemps pour l’obliger à se jeter de lui-même dans les bras de la Russie. Alors peut-être essaierait-elle de sauver notre territoire ; peut-être même découvririons-nous chez les hommes d’état de Saint-Pétersbourg certaine arrière-pensée déjà ancienne d’alliance cordiale entre la Russie et la France. En attendant, ils ne songeaient qu’à nous affaiblir pour nous éloigner de l’Angleterre, et l’on conçoit la satisfaction qu’ils durent éprouver en voyant l’Angleterre elle-même se prêter complaisamment à leurs desseins.

A côté de la Russie, moins ennemie de la France que jalouse de l’alliance française, se trouvait l’Autriche-Hongrie, victime des erreurs de la politique de Napoléon III, mais rapprochée de nous, malgré ses justes griefs, par la conformité des malheurs et des haines. Le cabinet de Vienne aurait bien voulu faire cause commune avec la France, ou du moins lui prêter un concours moral, pour l’aider à faire une paix acceptable. Dès le lendemain de la journée du 4 septembre, quand l’Angleterre cherchait dans cette révolution inévitable un nouveau prétexte pour s’écarter de nous, l’Autriche répondait de la façon la plus bienveillante à la circulaire de M. Jules Favre annonçant la chute de l’empire et le refus de toute cession territoriale ; mais, étant elle-même une puissance allemande, elle devait craindre de s’engager dans une voie contraire aux passions surexcitées de l’Allemagne. Elle était d’ailleurs liée à l’Italie par un traité d’alliance intime conclu l’année précédente, et l’Italie venait d’accepter les conditions de la ligue des neutres dans les termes dictés par l’Angleterre. Ajoutons que la Russie prenait à son égard une attitude hostile et la menaçait de grands armemens sur ses frontières, si l’Autriche elle-même faisait mine de s’armer. Aussi le cabinet de Vienne, après quelques vains efforts pour donner à la ligue des neutres un caractère différent et plus favorable à la France, dut céder à son tour à la pression de l’Angleterre en y adhérant sans conditions.

Quant à l’Italie, il n’y avait pas à compter beaucoup sur sa reconnaissance. Elle n’avait vu dans nos embarras qu’une occasion d’achever la conquête de son unité territoriale en mettant la main sur la ville de Rome, d’où nous venions de rappeler notre corps d’occupation pour l’envoyer à la frontière. Peut-être aurions-nous pu acheter son alliance en la déliant formellement des stipulations de la convention du 15 septembre, qui était désormais le seul