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si elle avait simplement à subir la loi du vainqueur. » Ce langage si judicieux trouvait peu d’écho à Pétersbourg et à Londres, et le chancelier autrichien, indigné de cette inertie, s’écriait : « Je ne vois plus d’Europe[1] ! »

À Florence, il y avait depuis quelques semaines une négociation engagée pour un concours armé de l’Italie. Dès le 1er octobre, le délégué des affaires étrangères au gouvernement de Tours avait exposé à M. Nigra tout un plan d’alliance militaire entre les deux pays, stipulant que le roi Victor-Emmanuel mettrait à notre disposition 60,000 hommes. Pour vaincre les hésitations du cabinet de Florence, il lui avait offert d’envoyer lui-même à Tours un officier qui se rendît compte de l’état de nos ressources. Le ministre d’Italie n’avait pas repoussé cette proposition ; il avait même promis de l’appuyer auprès de son gouvernement, et l’on espérait que M. Thiers, en passant à Florence, achèverait la conclusion du traité. Les Italiens nous montraient beaucoup de sympathie, au moins en paroles. Le cabinet de Vienne avait promis à M. Thiers de lever tous les obstacles qui, de son côté, pouvaient retenir le gouvernement italien. Malheureusement l’Angleterre était moins explicite : aux questions qui lui furent faites par l’Italie et par la France, elle répondit qu’elle laissait toute sa liberté à l’Italie, mais « qu’elle ne l’encourageait pas. » Cette fois encore, l’influence anglaise l’emporta sur la nôtre. Malgré tous les efforts et toute l’éloquence persuasive de M. Thiers, un conseil de cabinet, auquel se joignirent les principaux chefs de l’armée italienne, déclara ne pas pouvoir prendre la responsabilité d’une résolution aussi grave ; l’absence du parlement italien lui en faisait un devoir, et l’attitude réservée des puissances neutres, particulièrement celle de l’Angleterre, l’obligeait à contenir ses sentimens.

L’Angleterre faisait donc partout le vide autour de la France ; elle avait un pied dans tous les cabinets de l’Europe, et nous rencontrions partout sa diplomatie pour contrarier la nôtre. On n’était pas plus heureux lorsqu’on s’adressait directement à elle. Le 1er octobre, à une nouvelle démarche de M. de Chaudordy, réclamant avec énergie la reconnaissance du gouvernement de la défense nationale comme un moyen de donner indirectement à la France au moins un appui moral, le ministère Gladstone avait répliqué durement « qu’avant de se faire reconnaître par les puissances étrangères, le gouvernement français devait se faire reconnaître par la France[2]. »

  1. Le comte de Beust au comte Chotek à Saint-Pétersbourg, 12 octobre 1870.
  2. Histoire de la diplomatie du gouvernement de la défense nationale, t. Ier, p. 45.