Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/515

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

divers accidens, auxquels la mauvaise volonté de M. de Bismarck ne fut pas étrangère, empêchèrent, comme on sait, l’accomplissement de ce dessein. La rigueur de la saison rendait très irrégulières les communications aériennes, seules possibles entre la province et Paris. Il en résulta des lenteurs, des malentendus, des hésitations déplorables. Sur la nouvelle que l’Autriche et d’autres puissances neutres semblaient disposées à suggérer au cabinet de Londres une démarche collective en faveur d’un armistice, M. Jules Favre et le gouvernement de Paris, qui voyaient l’heure de la capitulation approcher à grands pas, se rattachèrent à ce vain espoir, et prescrivirent de mettre pour condition à la conférence tantôt un préliminaire fondé sur l’intégrité de notre territoire, tantôt un armistice avec ravitaillement[1]. Cependant les vivres s’épuisaient, le bombardement avait lieu. M. de Bismarck, qui sentait mieux que personne l’évidence de nos droits, et qui redoutait la force des choses de même que nous y mettions notre espoir, n’avait pu se refuser à la présence d’un plénipotentiaire français aux conférences de Londres ; mais il désirait l’éviter, s’il était possible. Il entassait prétextes sur prétextes et imaginait chaque jour de nouveaux stratagèmes pour empêcher le départ de M. Jules Favre. Tantôt il interrompait brusquement toute relation de parlementaires avec la place assiégée, ce qui retardait d’une dizaine de jours l’arrivée d’une lettre écrite par lord Granville au ministre des affaires étrangères pour lui annoncer que le gouvernement anglais faisait tenir un sauf-conduit à sa disposition ; tantôt on exigeait que M. Jules Favre fît solliciter lui-même le sauf-conduit au quartier-général ennemi. Bref, on multiplia de telle façon les difficultés et les outrages, que le gouvernement français ajourna le départ de son plénipotentiaire, et, renonçant aux chances de salut que la réunion de la conférence semblait lui offrir, ne songea plus qu’à tenter un dernier effort pour sauver au moins l’honneur des armes.

Quelques jours plus tard, M. Jules Favre s’acheminait seul vers le quartier-général de Versailles pour y recevoir de nos vainqueurs les termes d’une capitulation nécessaire, plus nécessaire même qu’il ne pouvait l’avouer. Alors seulement lord Granville rompit le silence ; il prescrivit aussitôt à M. Odo Russell d’exprimer au cabinet prussien les vœux pacifiques de l’Angleterre. « Le gouvernement de sa majesté, disait-il, espère que les négociations commencées à Versailles conduiront à la cessation immédiate du bombardement de Paris, ou même à une prompte terminaison de la guerre… Le désir ardent de sa majesté, de son gouvernement et de son peuple

  1. Dépêches de M. Jules Favre à M. de Chaudordy, 2 décembre et 4 décembre 1870,