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armée, continuer, elle aussi, pendant de longs mois une lutte presque sans espoir ? C’était pour l’honneur, disait-on, qu’après la capitulation de Sedan et celle de Metz il fallait encore combattre. C’est cette idée de l’honneur ou, si l’on veut, du devoir qui inspire et domine toute la politique de Démosthène, depuis le jour où il paraît pour la première fois à la tribune jusqu’à celui où il s’affaisse et meurt, avec la liberté grecque, sur les marches du temple de Calaurie.


I

Le père de Démosthène, inscrit dans le bourg de Péanée, dème de la tribu Pandionide, portait déjà le nom que son fils a illustré. Ainsi que le père de Lysias et celui d’Isocrate, c’était, pour prendre une expression toute moderne, un riche industriel. Il avait deux fabriques, l’une d’armes, l’autre de sièges et de lits. La première, au moment de sa mort, occupait trente-deux esclaves, la seconde vingt. Athènes, on le voit par ce détail, faisait donc encore un grand usage du travail servile. Il n’y était pas regardé comme déshonorant de gagner sa vie en qualité d’artisan ; mais d’ordinaire les hommes libres se réservaient pour diriger l’atelier, qui était peuplé surtout d’esclaves. Ceux-ci, quand ils savaient bien leur métier, étaient d’ailleurs doucement traités, et l’ouvrage qu’on leur imposait n’avait rien d’écrasant. L’œil d’un étranger avait quelque peine à les distinguer des plus pauvres parmi les citoyens. Ils avaient même vêtement, même tenue, et le verbe aussi haut. C’est ce que remarque, non sans un sourire de dédain, l’écrivain aristocratique, Critias ou quelque autre, auquel nous devons le petit traité intitulé de la république d’Athènes’’, qui nous est arrivé dans le recueil des œuvres de Xénophon.

Étrangers domiciliés comme Képhalos, ou citoyens comme Démosthène le père, ces hommes, qui formaient la haute bourgeoisie d’Athènes, lui rendaient des services dont l’histoire, trop attentive aux luttes du Pnyx et des champs de bataille, n’a point tenu assez de compte. Poursuivant leur travail à travers toutes les vicissitudes politiques, dans la guerre comme dans la paix, ils entretenaient la richesse d’Athènes par une production constante, ils réparaient les brèches faites à son capital par des expéditions imprudentes et mal conduites, ils lui permettaient ainsi de se relever, avec une rapidité qui surprenait amis et ennemis, après les crises trop fréquentes où la précipitaient ses orateurs et ses généraux. La plupart de ces hommes, en sus des marchandises brutes ou fabriquées, des instrumens et des esclaves dont se composait leur matériel, avaient