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précision, avec une fermeté, avec une énergie, et en même temps une mesure et une prudence qui m’auraient enchanté dans un homme, et cependant elle répandit sur tout ce qu’elle disait une teinte de sensibilité profonde qui ne me laissa pas oublier un instant que c’était une femme que j’admirais… C’était un assemblage de dignité, de douceur et de charmes tel que je crus ne l’avoir jamais rencontré, » Il y avait en elle un fonds d’inquiétude secrète, l’agitation cachée des pressentimens. Elle se préoccupait du jugement porté par l’Europe sur la conduite du roi. Elle avait sur ce point « nourri des doutes, et des doutes bien pénibles… Elle ne savait que trop qu’on n’aimait pas la Prusse, et elle comprenait aussi pourquoi on ne l’aimait pas. » Les nouvelles reçues la rassuraient cependant. Elle parla de la guerre de 1805 avec une émotion communicative ; ses yeux se mouillèrent au souvenir d’Austerlitz. Le jour où elle avait appris ce désastre, son fils, le prince royal, avait mis pour la première fois l’habit militaire. Elle lui dit : « J’espère qu’au jour où tu pourras faire usage de cet habit, la seule pensée qui t’occupera sera celle de venger tes malheureux frères. » Ce mot et cette idée revenaient dans sa bouche ; elle était « intimement persuadée que le grand moyen de salut se trouvait dans l’union la plus étroite de tout ce qui porte le nom d’Allemand. » Quant à la guerre, elle l’avait approuvée, « la position était devenue si équivoque qu’il fallait en sortir à tout prix, mettre un terme aux reproches et aux soupçons. » Gentz lui parla de quitter l’armée pour se rendre à Dresde. « Je le dis franchement, répondit-elle, autant que cela dépendra de moi, je resterai ;… le roi m’a heureusement permis de l’accompagner encore demain, je ne partirai que lorsqu’il le voudra… Je crains de retourner à Berlin, je crains les bruits alarmans auxquels on est toujours en proie à une grande distance du théâtre des événemens… »

En sortant du palais, Gentz aperçut un grand mouvement de troupes. Le roi est à cheval. Tout le monde est joyeux. « Excellente nouvelle, dit un des officiers ; les Français ont attaqué Tauentzien, et il les a bravement repoussés. » Gentz va aux informations, et lit le rapport du général : l’affaire se réduit à une reconnaissance offensive ; Tauentzien a en effet repoussé les Français, qui ont perdu quelques hommes ; puis il a lui-même opéré sa retraite, selon les ordres qu’il avait reçus. Haugwitz veut faire imprimer un bulletin de cette prétendue victoire et dépêcher des courriers à Berlin, Vienne, Dresde et Pétersbourg. Gentz et quelques autres personnes l’en détournent, non sans peine. Haugwitz se résigne, il renonce au bulletin imprimé et n’enverra de courrier qu’à Dresde ; mais il s’enferme trois heures pour « chercher une rédaction qui ne donne ni