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l’armée autrichienne. Le centre gauche s’est montré prudent et modéré, il n’a pas sommé le comte Lonyay de briser immédiatement tout lien entre les deux armées : il a déclaré qu’il voterait le budget de la défense nationale tel qu’il était présenté ; mais M. Tisza n’a fait cette concession qu’en adjurant les ministres d’accomplir leur devoir envers la patrie, quand même ce devoir leur serait désagréable. En effet, les auteurs du dualisme ne pourraient trouver une grande satisfaction à lui porter le coup mortel. Sans une armée commune, on ne saurait trop le répéter, l’empire d’Autriche n’existe plus, pas plus l’Autriche-Hongrie que la vieille Autriche de Metternich ; il faut qu’au moins les armes savantes et un certain noyau de troupes permanentes continuent à représenter l’union, sinon l’unité des divers peuples qui reconnaissent la souveraineté des Habsbourg.

Les quarante-huit, qui tiennent fort peu à l’existence de la dynastie, n’ont pas été arrêtés par cette considération. La discussion pendante leur fournissait l’occasion de réveiller les souvenirs comme les passions de la guerre d’indépendance ; ils n’y ont pas manqué. Un orateur a opposé aux soldats stipendiés les soldats citoyens, qui seuls, disait-il, étaient dignes de garder les villes hongroises : funeste distinction dont notre exemple aurait dû guérir à jamais les autres peuples. D’autres ont exigé que les régimens magyars en garnison dans les diverses provinces de la monarchie fussent immédiatement rappelés, et que les régimens autrichiens fussent expulsés du sol hongrois. Les défenseurs du gouvernement ayant objecté que cette règle existait dans la pratique, à très peu d’exceptions près, et que deux régimens de cavalerie magyare seulement étaient logés au-delà de la Leitha, l’un à Vienne, l’autre à Prague, M. Irányi n’a pas été satisfait de cette réponse. « Le régiment qui est à Vienne, a-t-il dit, peut servir à la garde du roi ; mais celui qui est à Prague, à quoi sert-il ? — À garder le roi Ferdinand VI » cria, se gaussant du tribun, un interrupteur du côté droit. Pour comprendre cette plaisanterie, il faut se rappeler qu’à la fin de 1848 l’empereur-roi Ferdinand V, ayant abdiqué en faveur de son neveu François-Joseph, se retira dans son palais de Prague, où il réside encore aujourd’hui, et que les révolutionnaires hongrois, n’acceptant pas cette abdication, persistèrent à reconnaître Ferdinand V, devenu une sorte de roi malgré lui. « Je ne croyais pas, a répondu M. Irányi, comme s’il prenait l’interruption au sérieux, que le côté droit regardât Ferdinand V comme roi de Hongrie. » Là-dessus, grand tumulte, et cela se conçoit. Ces courts incidens ont une gravité extrême lorsqu’ils réveillent à l’improviste des passions que l’on croyait mortes.

Le comte Lonyay, sans nier absolument qu’il n’y eût rien à faire