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boulevards de la chrétienté ; ce n’était plus pour l’Autriche qu’un moyen assuré de recrutement et un instrument de despotisme. Le gouvernement et la diète de Hongrie, en rendant ces contrées au régime civil, ont accompli une œuvre de progrès, mais ils ont encore envenimé les haines de race. Quel sera en effet ce régime civil, jusqu’à présent plutôt décrété qu’organisé, quoiqu’on ait déjà supprimé deux régimens, c’est-à-dire civilisé deux districts de cette singulière contrée ? Les ministres et la majorité, une partie même de l’opposition, réclament les frontières militaires comme un ancien domaine hongrois qui doit faire retour à la couronne. Cette opinion, fondée sur le droit historique, est combattue par M. Miletics et ses amis, qui font valoir la nature éminemment slave de ces populations, et qui réclament l’autonomie d’une partie de cette région, la réunion du reste à la Croatie. Ce sont là des luttes passionnées que nous ne pouvons comprendre, nous autres Français, sans un grand effort, et dont les détails auraient à nos yeux peu d’intérêt, s’il ne s’agissait au fond du maintien ou de l’effondrement de la puissance autrichienne.

Cette question, incomplètement résolue, est venue aggraver le dissentiment qui existait déjà entre les Croates et le ministère magyar. Jamais les deux pays n’ont vécu en plus mauvais termes que dans les premiers mois de cette année, et les noms même des antagonistes, les noms de Jellachich et de Lonyay, rappellent 1848. Plusieurs fois la diète de Croatie a été convoquée, pour être dissoute au bout de quelques jours par un rescrit de François-Joseph. Le ban de Croatie, le premier magistrat du pays, était depuis quelque temps le baron Bedekovich, auparavant ministre des affaires croates dans le cabinet hongrois. Sa situation entre ses compatriotes et le gouvernement royal étant devenue insupportable, il a donné sa démission, et a reçu en guise de consolation une lettre aimable de son souverain avec la couronne de fer de première classe. Son successeur, M. Vakanovich, sera-t-il plus heureux que lui ? Il est permis d’en douter, si nous sommes exactement renseignés sur les pourparlers inutiles qui ont eu lieu entre le comte Lonyay et les chefs croates. Ceux-ci demanderaient que le ban fût élu à l’avenir par la diète d’Agram au lieu d’être désigné par le gouvernement magyar, et que le ministre des affaires croates, membre de ce gouvernement, fût responsable devant la diète d’Agram, — que diverses questions, celle des forêts, celle des Confins militaires, fussent résolues dans un sens conforme aux intérêts slaves. On se serait séparé sans espoir de conciliation et dans une défiance mutuelle.

Tel est au moins le sentiment qui anime les Magyars à l’égard des peuples slaves. Ils ne feraient exception qu’en faveur des