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présentent des propriétés non-seulement différentes, mais opposées. Il a fait plus de deux cents expériences avec la morphine, la narcéine, la codéine, la narcotine, la papavérine et la thébaïne. Ces recherches ont démontré que, parmi ces six principes, trois seulement provoquent le sommeil : ce sont la morphine, la narcéine et la codéine. Les trois autres n’ont pas d’action soporifique ; ils jouissent d’un pouvoir soit excitant, soit toxique, qui tend plutôt à contrarier ou à modifier l’effet narcotique des précédens. Dans l’ordre soporifique, la narcéine est au premier rang, la morphine au second et la codéine au troisième. Comme excitant, la thébaïne a plus d’énergie que la narcotine, et celle-ci en a plus que la codéine. Enfin, quant à la puissance toxique, M. Bernard les dispose dans l’ordre suivant, en commençant par le plus vénéneux : thébaïne, codéine, papavérine, narcéine, morphine, narcotine. On voit que l’auteur de ces recherches ne s’est pas contenté de caractériser les différences d’action propres aux alcaloïdes de l’opium, mais qu’il a mesuré aussi le degré de l’intensité avec laquelle chacun d’eux manifeste le genre d’activité physiologique ou thérapeutique qui lui appartient.

Ces études ont été reprises tout dernièrement par M. Rabuteau. Cet observateur a examiné l’action des alcaloïdes de l’opium sur la sensibilité et sur l’intestin, et il les a expérimentés méthodiquement sur l’homme aux hôpitaux de la Charité et de la Pitié. L’ordre dans lequel on peut ranger les divers principes de l’opium, au point de vue de leur activité, n’est pas le même chez l’homme et chez les animaux. Ainsi M. Rabuteau a vu que la morphine, qui est relativement peu toxique chez ces derniers, l’est au premier chef chez l’homme. La narcéine fait mieux dormir les bêtes que la morphine, tandis que c’est l’inverse pour nous. Cependant la première, quoique moins efficace que la seconde, quant à l’analgésie (suppression de la douleur) et à l’hypnotisme (production du sommeil), paraît devoir lui être préférée en thérapeutique. La narcéine provoque, à la dose de 25 centigrammes, un sommeil calme et réparateur, suivi d’un réveil après lequel on n’éprouve aucun des troubles qui suivent l’ingestion de la morphine, tels que lassitude et dégoût. Elle doit être préférée aussi comme analgésique, car en abolissant la douleur chez les malades, elle y détermine un état de bien-être précieux ; rien n’est meilleur pour les névralgies par exemple. Enfin la narcéine et la morphine ont une propriété qui explique les effets si connus de l’opium dans les flux intestinaux.

Ces travaux montrent une fois de plus combien la thérapeutique profite de la chimie, et quelle constante liaison il y a entre le perfectionnement de l’une et le progrès de l’autre. Tant que l’opium